| ------------L'uvre 
        qui remplit l'histoire de l'Empire romain, la tâche à laquelle 
        se sont employés, et les empereurs, et le personnel d'administrateurs 
        qu'ils envoyaient dans les provinces, et les provinciaux eux-mêmes, 
        appelés en nombre croissant à chaque génération 
        à collaborer avec les Romains, ce fut la mise en valeur du monde 
        alors connu. Les limites de ce monde se confondaient presque avec celles 
        de l'Empire ; en tout cas, il ne comprenait, en dehors de l'Empire, aucun 
        grand État organisé et civilisé. A peine faut-il 
        faire une exception pour l'Empire perse, qui n'eut, d'ailleurs, une force 
        et une importance véritables qu'à partir du Me siècle. 
        Dans l'ensemble des régions soumises à son autorité, 
        Rome a organisé la production et les échanges en assurant 
        l'ordre, en disciplinant et en outillant les populations qui avant elle 
        étaient barbares, en leur enseignant le confort et le luxe, en 
        créant des routes, en favorisant le trafic maritime, elle a développé 
        une activité économique dont bénéficièrent 
        tous ceux qui vivaient dans les frontières de l'Empire. Rome a 
        aménagé le monde de façon à s'assurer à 
        elle-même les ressources dont elle avait besoin, mais en même 
        temps de façon à améliorer les conditions d'existence 
        de tous ceux qu'elle avait soumis. Nous avons à voir de quelle 
        manière s'est traduite, en Afrique, cette action féconde 
        de Rome, quel aspect a pris la vie économique de l'Afrique romaine. *** ------------Au préalable, 
        il est nécessaire de revenir un peu en arrière et d'indiquer 
        brièvement quelle était cette vie économique à 
        l'époque préromaine, dans l'Afrique telle que l'avait faite 
        Carthage. Deux formes d'activité s'étaient développées 
        dans l'Afrique carthaginoise : le commerce et l'agriculture. En premier 
        lieu, le commerce, qui faisait l'originalité, la richesse propre 
        de Carthage : commerce qui consistait surtout à être les 
        rouliers des mers, car les Carthaginois, qui n'avaient pas d'art personnel, 
        qui ne produisaient industriellement que des objets médiocres destinés 
        presque uniquement à la consommation locale, furent surtout, selon 
        toute vraisemblance, des commissionnaires, des armateurs qui transportaient, 
        soit des matières premières, soit les objets fabriqués, 
        d'une région non carthaginoise à une autre région 
        non carthaginoise. http:// perso. wanadoo. fr/ bernard.venis En second 
        lieu, les Carthaginois avaient développé l'agriculture. 
        Une grande ville comme la leur consommait beaucoup de vivres ; et la nature 
        même de leur commerce, leur rôle d'intermédiaires, 
        faisaient qu'ils avaient intérêt à réduire 
        au minimum le nombre des cargaisons de vivres nécessaires pour 
        l'alimentation de Carthage : se procurer, autour de Carthage même, 
        les denrées indispensables était, pour eux, un bénéfice 
        évident. Au surplus, ils avaient besoin de se créer un hinterland, 
        de se donner un peu d'air, s'ils ne voulaient pas rester accrochés 
        précairement à la côte, à la merci d'une poussée 
        des Berbères. Ils avaient donc, en soumettant à leur autorité 
        la Tunisie et la Tripolitaine, favorisé l'agriculture ; les familles 
        les plus en vue avaient acquis des propriétés foncières 
        ; il y avait eu des agronomes de talent, dont le plus connu, Magon, resta 
        une autorité pendant toute l'antiquité. Le blé et 
        l'orge, l'olivier, la vigne, cultivés en territoire carthaginois, 
        avaient assuré à Carthage l'essentiel de sa subsistance 
        indépendamment des événements extérieurs ; 
        pour la vigne et l'olivier, les agronomes carthaginois avaient imaginé 
        des procédés de culture nouveaux et dont on pensait grand 
        bien. La culture des légumes et des fruits était aussi pratiquée 
        fort habilement, et la banlieue de Carthage donnait des rendements très 
        élevés. A l'exemple des Carthaginois, les rois numides, 
        dans le reste de l'Afrique du Nord, avaient peu à peu développé 
        l'agriculture, faisant passer les tribus les mieux disposées de 
        la vie nomade du pasteur à la vie sédentaire du laboureur 
        : sans varier les cultures autant que les Carthaginois, ils s'étaient 
        attachés surtout à la production du blé et de l'orge. 
        En outre, l'élevage des chevaux avait été, de tout 
        temps, une des plus prospères industries de l'Afrique du Nord : 
        la cavalerie numide a toujours été célèbre. *** ------------Voilà 
        dans quel état Rome avait pris l'Afrique. De toute nécessité, 
        la conquête devait modifier sensiblement cette économie. 
        La destruction de Carthage et de ses ports entraînait la destruction 
        du commerce punique ; et même lorsque la vertu des conditions géographiques 
        et la bonne volonté de César et d'Auguste eurent relevé 
        Carthage, il était impossible que le commerce carthaginois reprît 
        la même forme que par le passé ; dans ce monde dont chaque 
        partie apprenait à exploiter toutes ses ressources naturelles, 
        il n'y avait plus place pour des rouliers de mers ; il n'y avait plus 
        lieu de transporter par exemple les matières premières d'Espagne 
        en Orient, et les produits fabriqués d'Orient en Espagne ; les 
        courants commerciaux ne traversaient plus tout le monde méditerranéen, 
        ils convergeaient vers Rome, centre unique. Les armateurs de Carthage 
        ressuscitée ou des autres ports africains n'avaient plus à 
        assurer de trafic important qu'avec l'Italie ; il faut y ajouter un commerce 
        secondaire, rendu inévitable par le voisinage, avec l'Espagne.
 ------------Ce n'était plus comme à 
        l'époque punique, du transport des denrées non africaines 
        que l'Afrique romaine devait tirer sa prospérité, mais de 
        ses propres productions. Proconsulaire, Numidie et Maurétanie formaient 
        un vaste domaine à faire valoir, de concert entre les anciens occupants 
        berbères et les nouveaux maîtres romains.
 
 ------------Nos documents nous permettent d'affirmer 
        qu'il y a eu, dans l'exploitation du pays, deux phases distinctes, dont 
        la première va jusqu'à la fin du premier siècle après 
        J.C.
 
 ------------Au ler 
        siècle, l'Afrique nous apparaît comme spécialisée 
        dans la culture du blé. C'est ce qui résulte des renseignements 
        très abondants et très précis, pris à bonne 
        source, que nous donne, sur les productions de l'Afrique, l'Histoire 
        naturelle 
        de Pline l'Ancien, ouvrage publié en 77. " Le 
        sol de l'Afrique, dit Pline, a été donné par la nature 
        tout entier à Cérès ; l'huile et le vin lui ont été 
        presque refusés ; toute la gloire du pays est dans les moissons 
        ".
 ------------Même en faisant la part de l'exagération 
        littéraire qu'il peut y avoir dans la phrase de Pline, il est évident 
        que ce texte permet d'affirmer que la production fondamentale, à 
        cette époque, de l'économie africaine, la seule qui fournisse 
        matière à un commerce d'exportation, ce sont les céréales, 
        et nommément le blé, comme il ressort d'autres passages 
        de Pline : l'orge n'est plus consommée que par les indigènes 
        pauvres. L'olivier et la vigne sont donc en régression, si l'on 
        compare cette période à la période carthaginoise.
 
 ------------Nous apercevons les raisons de ce fait. 
        En premier lieu, l'huile et le vin d'Afrique n'étaient pas regardés 
        à cette époque comme étant de très bonne qualité. 
        L'Italie, 1'Histrie et la Bétique donnaient de l'huile très 
        supérieure ; les vins italiens, espagnols et grecs étaient 
        préférés de beaucoup aux vins africains. Au contraire, 
        la culture du blé en Afrique, et particulièrement en Tunisie, 
        était exceptionnellement favorisée. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venisLe 
        blé d'Afrique était très lourd, et les rendements 
        obtenus dans les plaines tunisiennes, vallée de l'Oued Medjerda, 
        plaines à l'Ouest de Sousse, étaient extraordinaires : on 
        obtenait jusqu'à 150 pour 1 en Byzacène, alors que dans 
        les autres provinces les régions les plus fertiles (Sicile, Bétique, 
        Egypte) ne dépassaient pas 100 pour 1. Il est probable que ces 
        résultats, obtenus presque sans peine, avec des instruments très 
        imparfaits - une charrue primitive traînée par un âne 
        et une ville femme - s'expliquent par les qualités du sol, phosphaté 
        naturellement et pas encore fatigué. Un mouvement spontané 
        devait porter les cultivateurs vers une culture aussi rémunératrice.
 
 ------------En second lieu, ce mouvement spontané 
        était encouragé très activement par la volonté 
        réfléchie des empereurs et de leurs représentants 
        locaux. Le blé était, sous forme de bouillie ou de pain, 
        le fond de la nourriture en pays romain ; il en fallait une grande quantité 
        à Rome et en Italie, soit comme blé circulant dans le commerce, 
        soit pour les distributions gratuites ou les ventes 
        à très bas prix grâce auxquelles on obtenait du peuple 
        de Rome qu'il ne bougeât point. Et l'Italie, dépeuplée, 
        transformée pour une bonne part en pâturages, en marais ou 
        en friches, ne produisait plus le blé dont elle avait besoin. Le 
        souci le plus pressant pour les empereurs était d'assurer ce ravitaillement. 
        Ils étaient constamment anxieux qu'une tempête n'empêchât 
        les arrivages, qu'un gouverneur factieux ne retînt la récolte 
        dans sa province : une irrégularité dans les distributions 
        pouvait amener une révolution. De là les privilèges 
        accordés aux négociants en blé, de là les 
        efforts pour créer à l'embouchure du Tibre un bon port, 
        de là enfin les mesures méthodiques par lesquelles les empereurs 
        favorisent et au besoin imposent la culture du blé dans les provinces. 
        Domitien, dans les vingt dernières années du premier siècle, 
        interdit la création de nouveaux vignobles dans certaines provinces, 
        et dans d'autres fit arracher des vignobles déjà existants, 
        pour augmenter les surfaces cultivées en blé. 
        -
 
 ------------Il est donc naturel qu'en Afrique, ou 
        le blé venait si bien, les empereurs en aient favorisé et 
        même prescrit la culture, soit sur leurs propres domaines, très 
        étendus, soit sur les terres des particuliers : les moyens d'action, 
        à cet effet, ne leur manquaient pas. Dès cette époque, 
        Rome ménage les provinciaux, les traite avec bienveillance, en 
        collaborateurs, les élève progressivement jusqu'à 
        elle ; cependant son intérêt propre reste au premier plan 
        de ses préoccupations, et cet intérêt lui commande 
        de spécialiser dans la production du blé les provinces particulièrement 
        aptes à cette culture.
 
 ------------En fait, comme denrées d'exportation, 
        Pline, en dehors du blé, ne signale pas beaucoup de choses : il 
        y a des figues, et quelques autres fruits comme la grenade ; des produits 
        végétaux qui sont, pour le gourmet de Rome, des raretés 
        exotiques, comme la jujube ou les truffes. La banlieue de Carthage a toujours 
        des maraîchers habiles, mais leurs légumes, artichauts en 
        particulier, sont surtout consommés sur place. Pline connaît 
        les dattes d'Afrique ; mais elles ont mauvaise réputation et ne 
        peuvent entrer en concurrence avec celles de l'Orient.
 
 ------------Dans le règne animal, deux commerces 
        sont à signaler d'une part, celui des mulets, les mulets d'Afrique 
        sont très recherchés ; d'autre part, on fait la chasse aux 
        fauves, particulièrement aux lions et aux panthères, pour 
        fournir des animaux aux jeux de l'amphithéâtre à Rome 
        ; les bêtes destinées à ces jeux s'appellent couramment 
        " les africaines ".
 ------------A l'industrie, 
        qui s'exerce dans les régions manufacturières de l'Empire, 
        Italie et Gaule surtout, l'Afrique ne fournit qu'une faible quantité 
        de matières premières, et presque toujours ce sont des matières 
        de luxe, qui ne peuvent créer un mouvement important : un marbre 
        de luxe extrêmement coûteux, le marbre numidique ; un bois 
        de luxe, le thuya ; des pierres précieuses ; quelques produits 
        pharmaceutiques, quelques terres dont on se sert pour la préparation 
        des couleurs. Les mines sont si peu exploitées que nous n'en trouvons 
        pas mention. Sur place, les seules manufactures qui aient une importance 
        sont celles qui fabriquent les étoffes de pourpre. Tout cela est 
        objet de luxe ou de curiosité, nécessairement limité 
        comme production et comme commerce ; il n'y a d'intérêt mondial 
        que dans la culture du blé.
 ------------Telle est la vie économique de 
        l'Afrique au Ier siècle, c'est-à-dire à une époque 
        où Rome oriente la vie des provinciaux dans le sens le plus favorable 
        aux intérêts de la capitale. Il en est autrement au siècle 
        suivant, en partie sans doute à cause de l'épuisement de 
        certaines terres à blé et de la mise en exploitation de 
        terres nouvelles peu propres aux céréales, en partie aussi 
        parce que l'attitude de Rome à l'égard des provinces a changé 
        : de plus en plus, les provinciaux se sentent de plain pied avec Rome, 
        au moins en ce qui concerne les éléments les plus cultivés 
        d'entre eux; de plus en plus, l'importance relative de la population de 
        l'Italie décroît. Les souvenirs de l'esprit de domination, 
        à Rome, s'effacent peu à peu : Rome laisse aux provinces 
        plus d'initiative, et permet à chacune d'elles de mettre en oeuvre 
        toutes ses facultés, de chercher à se faire une existence 
        complète par ses propres moyens. Ajoutons à cela la décadence 
        croissante de l'agriculture italienne ; l'huile et le vin commencent à 
        manquer dans la péninsule, comme le blé antérieurement.
 
 ------------En conséquence, le blé 
        à partir du IIe siècle, n'a plus l'importance exclusive 
        qu'il avait au 1er. Dans les terrains qu'on défriche, on plante 
        surtout des oliviers et des vignes ; ainsi les trois cultures fondamentales 
        du monde antique sont, en Afrique, mises en équilibre. L'huile 
        est exportée sur Rome, par grandes quantités ; elle est 
        d'abord, au goût des Romains, trop forte pour qu'on l'utilise volontiers 
        comme comestible ; mais ensuite la fabrication s'améliore, et l'huile 
        d'Afrique sert pour la table aussi bien que pour l'éclairage, et 
        pour la toilette dans les bains. Il y a aussi, sans doute, augmentation 
        de la culture de l'orge, mais le progrès général 
        du bien-être exclut de plus en plus l'orge de l'alimentation humaine 
        ; si on la cultive plus qu'au siècle précédent, c'est 
        parce que l'élevage des chevaux aussi est en progrès. Les 
        arbres fruitiers, et particulièrement les figuiers, les légumes, 
        et particulièrement les fèves, forment les cultures accessoires. 
        C'est en Tunisie, et surtout dans la vallée de la Medjerda et dans 
        les vallées adjacentes, que ces différentes cultures se 
        concilient le mieux. Celle de l'olivier prend un développement 
        très prospère en Tripolitaine, et aussi sur les plateaux 
        qui logent aujourd'hui, à l'Ouest, la frontière tunisienne, 
        entre Souk-Ahras et Tébessa, ainsi que dans les vallées 
        de Kabylie. Le plateau de Sétif et la Maurétanie Tingitane 
        restent voués à la culture du blé. L'élevage, 
        non seulement du cheval, mais du gros et du petit bétail, se développe 
        en Numidie ; et enfin, selon toute vraisemblance, c'est vers la fin du 
        IIe siècle que le chameau commence à tenir une place dans 
        l'économie rurale des Africains.
 
 ------------Comme matières premières, 
        l'Afrique fournit maintenant autre chose que des matières de luxe 
        : on exploite des mines de fer, de plomb argentifère et de cuivre. 
        Et enfin les forêts africaines fournissent à Rome du bois 
        de construction, et aussi du bois de chauffage pour les thermes, qui en 
        consommaient sans doute une quantité difficile à imaginer.
 
 ------------Ces dernières données, 
        bien entendu, n'enlèvent pas à l'Afrique son caractère 
        fondamental de pays agricole. C'est à développer la richesse 
        agricole de l'Afrique, beaucoup plus qu'à en explorer le sous-sol 
        ou à y créer des manufactures, que les Romains ont employé 
        leurs efforts. Ainsi, les industries textiles restent insignifiantes : 
        l'alfa est à peine mentionné, parce que les Romains n'ont 
        pas suffisamment pénétré sur les plateaux du Sud 
        Algérois et du Sud Oranais ; la laine n'est utilisée que 
        pour les usages locaux.
 |  | ------------Les 
        efforts les plus persévérants et les plus efficaces ont 
        porté sur l'utilisation de l'eau. Il n'est pas vraisemblable que 
        le climat de l'Afrique du Nord ait changé sensiblement depuis l'antiquité 
        historique ; LI n'était pas plus humide que de nos jours. Si, malgré 
        cela, des régions étaient peuplées qui sont aujourd'hui 
        presque désertiques, si des cultures arbustives étaient 
        possibles là où il n'y a plus aujourd'hui que de la steppe, 
        cela tient d'abord à ce que, depuis l'antiquité, il y a 
        eu déboisement de certaines pentes, d'où les conséquences 
        inévitables du déboisement, ruissellements torrentiels et 
        disparition de la terre arable ; ensuite et surtout à ce que, à 
        l'époque romaine, des travaux hydrauliques, qui n'ont pas été 
        entretenus à l'époque musulmane, et qui pour la plupart 
        n'ont pas encore été refaits à l'époque française, 
        assuraient l'utilisation maxima des eaux pluviales et des sources.
 ------------[Des travaux de ce genre ont été 
        exécutés antérieurement à l'époque 
        romaine, dès l'époque Carthaginoise. Ce ne sont peut-être 
        pas partout des ingénieurs italiens qui ont dirigé les travaux 
        dont on retrouve les traces, en Tunisie et en Algérie, sur beaucoup 
        de points.
 
 ------------Des barrages disposés dans les 
        ravins, retenaient les eaux ; des digues les conduisaient vers la plaine, 
        où des systèmes d'épis, de rigoles et de vannes les 
        répartissaient à travers les champs. Les recherches aériennes 
        récentes ont montré que sur de vastes étendues le 
        sol était aménagé d'une façon minutieuse et 
        méthodique pour recueillir toutes les eaux de ruissellement. On 
        ne saurait attribuer l'origine et l'entretien de ces travaux qu'à 
        oeuvre des exploitants du sol eux-mêmes et souvent, comme dans la 
        région de Tébessa, à Tazbent, des tribus indigènes.]
 -
 -----------Un peu partout on rencontre des citernes 
        et des puits, qui alimentaient les fermes, les habitations isolées 
        ; les villes avaient des aqueducs. Une inscription nous a conservé 
        le souvenir d'un ingénieur, spécialisé dans le forage 
        des canaux souterrains, qui appartenait à la légion et que 
        le commandant de la légion mettait, le cas échéant, 
        à la disposition des autorités municipales pour diriger 
        les travaux d'adduction d'eau : il fut appelé ainsi à construire 
        l'aqueduc desservant Bougie. Une autre inscription, dans la région 
        de Batna, est un règlement d'irrigation déterminant de façon 
        très précise, jour par jour et heure par heure, la répartition 
        de l'eau d'irrigation entre les différents propriétaires 
        de la localité, qui ont créé et entretiennent à 
        frais communs le réservoir et la canalisation. L'aménagement 
        hydraulique a été la partie la plus importante de uvre 
        romaine en Afrique.
 *** ------------Nous 
        avons à nous demander maintenant quelle était la condition 
        sociale de ces agriculteurs qui formaient la classe de beaucoup la plus 
        nombreuse et la plus productive de la population africaine.
 ------------Les petits propriétaires ne manquaient 
        pas. Ils étaient assez nombreux sans doute, avant la conquête 
        romaine, et en pays carthaginois et en pays numide : à ces petits 
        propriétaires indigènes Rome avait laissé leurs biens, 
        en les astreignant simplement à l'impôt foncier. En outre, 
        sur le terrain qui était devenu domaine public de Rome - soit parce 
        qu'il était déjà domanial à l'époque 
        préromaine, soit parce que, propriété privée 
        d'aristocrates carthaginois ou numides, il avait été confisqué 
        par Rome lors de la conquête - , Rome avait créé un 
        certain nombre de petites propriétés assignées à 
        des colons, dans la plupart des cas anciens militaires, comme ceux qui 
        fondèrent Sétif, Djemila, Timgad. Ces colonies militaires 
        ayant été beaucoup plus nombreuses en Numidie et en Maurétanie 
        qu'en Afrique proconsulaire, le nombre des petites propriétés 
        devait être plus grand en Numidie et en Maurétanie.
 
 ------------Mais si la petite propriété 
        n'était pas absente, la grande propriété couvrait 
        des espaces plus vastes, et tendait à en absorber chaque jour de 
        nouveaux. Les grandes propriétés étaient, en majorité, 
        postérieures à la conquête romaine car, sans doute, 
        il y avait eu de grandes propriétés chez les Carthaginois 
        et chez les Numides, mais les familles qui les détenaient, et qui 
        appartenaient aux classes dirigeantes, étaient celles sur lesquelles 
        avait porté, lors de la conquête, le poids de la guerre, 
        des châtiments et des confiscations. Au lendemain de la conquête 
        romaine, on peut dire en gros que la terre d'Afrique s'était trouvée 
        partagée entre les petits propriétaires indigènes, 
        laissés en possession de leurs biens, et le domaine public du peuple 
        romain. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. C'est sur ce domaine public 
        que s'était constituée une grande propriété 
        romaine ; car si une part du domaine public avait servi à distribuer 
        des lots de terre aux colons, une autre part avait été occupée 
        par les membres de l'aristocratie qui, moyennant une redevance faible 
        ou nulle, s'y étaient taillé, avec la tolérance de 
        l'État, de très larges possessions. Ce qui n'avait pas été 
        occupé ainsi par de riches particuliers et qui était resté 
        proprement bien domanial devint, sous l'Empire, domaine de l'empereur. 
        Il y avait donc, sous l'Empire, à côté des petits 
        propriétaires mentionnés tout à l'heure, de gros 
        propriétaires possédant de vastes domaines, en Tunisie particulièrement, 
        et un propriétaire plus gros que tous les autres, l'empereur. Bon 
        an mal an, un certain nombre de petites propriétés étaient 
        absorbées par les grandes, parce que la loi de la concentration 
        des capitaux a joué à toutes les époques ; et de 
        temps en temps aussi l'une ou l'autre des grandes propriétés 
        privées passait dans le domaine impérial, par extinction 
        de la famille possédante ou par héritage ou par confiscation 
        après condamnation.
 
 ------------Sur ces grandes propriétés, 
        appelées saltus, le propriétaire, 
        dans la plupart des cas, ne résidait pas ; il était, comme 
        l'empereur, à Rome ou en Italie. Il chargeait de l'exploitation 
        de sa terre un fermier ou une compagnie fermière, qui la sous-louaient 
        à leur tour à des colons. Le terme de colon, ici, n'a plus 
        le même sens que lorsqu'on parle d'une fondation de colonie, de 
        l'installation d'un groupe de vétérans auxquels sont assignés 
        des lots de terre. Le colon installé comme sous-locataire sur une 
        parcelle d'une grande propriété est l'occupant héréditaire, 
        mais non le possesseur du sol ; il l'exploite, à charge pour lui 
        de remettre au fermier ou à la compagnie fermière une part 
        des fruits qu'il
 récolte.
 
 ------------C'était le régime appliqué 
        sur des terrains étendus dans la vallée de la Medjerda, 
        dans la région de Dougga, dans celle de Sousse, en Tripolitaine, 
        dans les régions de Bône et de Tébessa. Des procurateurs 
        impériaux, sur les terres de l'empereur, veillaient à ce 
        que tout se passât régulièrement, à ce que 
        le cahier des charges fût respecté et par la ferme et par 
        les colons. Dans la région de Sétif, il est possible qu'on 
        se soit dispensé de l'intermédiaire de la ferme et que les 
        colons à qui l'empereur permettait de s'établir sur ses 
        domaines n'aient eu de rapports qu'avec le procurateur gouvernant la province.
 ------------Ainsi, 
        quelques gros propriétaires, non résidant, le plus gros 
        étant l'empereur ; des petits propriétaires exploitant, 
        indigènes ou vétérans, dont le nombre tend à 
        décroître ; des fermiers, isolés ou groupés 
        en sociétés ; de nombreux colons exploitant et versant une 
        part de leur récolte soit à un fermier, individu ou compagnie, 
        soit directement au procurateur impérial ; enfin des journaliers, 
        dont beaucoup sans résidence fixe : tels sont les éléments 
        dont se compose la population agricole de l'Afrique romaine. *** ------------Les 
        produits de cette agriculture étaient, pour une part, consommés 
        dans le pays ; pour une autre versés à l'État, à 
        titre d'impôt, ou de redevance des fermiers du domaine ; le reste 
        était exporté par le commerce libre. ------------Il y 
        a peu de chose à dire de la première : il va de soi que 
        l'Afrique nourrissait d'abord sa propre population. Le cas de disette, 
        à la suite d'une sécheresse exceptionnelle ou d'une invasion 
        de sauterelles, a été rare : l'Afrique romaine était 
        un des pays du monde antique où l'on était le plus assuré 
        de manger à sa faim.
 ------------Nous 
        sommes renseignés surtout sur la part de produits qui était 
        remise à l'État. Rome a souvent marqué une préférence 
        pour l'impôt payé en nature. Quand il s'agissait de vivres, 
        comme dans le cas qui nous occupe, ces prestations s'appelaient 
        annona. Les vivres revenant à l'Étatà titre 
        d'impôt - ou de redevance - étaient recueillis par les percepteurs 
        dans des magasins disposés en de nombreux points
 du territoire.
 
 ------------A ces magasins, les troupes de l'armée 
        d'Afrique venaient toucher leurs vivres ; les fonctionnaires, les indemnités 
        en nature qui s'ajoutaient à leur traitement. Le reste était 
        dirigé sur les ports et transporté à Rome par des 
        navires affrétés par l'État. http://perso.wanadoo.fr/bernard.venis. 
        L'annone d'Afrique fournissait, au début de l'Empire, probablement 
        le tiers du blé nécessaire à Rome pour les distributions 
        gratuites et les ventes à prix réduit, un autre tiers étant 
        fourni par l'Égypte, le reste par les autres provinces ; il est 
        probable que la part de l'Afrique devint, par la suite, plus importante 
        : les prestations d'huile, en outre, allèrent en augmentant.
 
 ------------Enfin, 
        une fois la population africaine nourrie et l'impôt acquitté, 
        il restait, dans la plupart des années, une part importante de 
        la récolte disponible pour le commerce libre, qui 1 exportait en 
        Italie ou ailleurs : les bénéfices de ce commerce allaient 
        à l'intermédiaire, au marchand en gros, beaucoup plus qu'au 
        cultivateur ; quelque chose néanmoins en restait à celui-ci, 
        et la prospérité du pays était faite de l'accumulation 
        de ces petits enrichissements.
 *** ------------En résumé, 
        la mise en valeur de l'Afrique par Rome a été une uvre 
        méthodique et tenace, et qui a porté de bons fruits. Exploitée 
        d'abord comme productrice de céréales, l'Afrique a été 
        ensuite utilisée de façon plus large, sans cesser d'être 
        traitée comme un pays foncièrement agricole ; les bénéfices 
        de ce travail ont été partagés entre Rome et l'Afrique 
        même, de telle façon que l'Afrique y a trouvé les 
        moyens d'un progrès régulier vers l'aisance et le luxe. 
        Nous verrons par quels monuments s'est traduite cette prospérité.
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