| Aïn-Témouchent 
        à travers l'histoirepar Antoine Carillo
 Antoine Carillo avait publié 
        en 1954 une excellente étude sur Aïn-Témouchent (Aïn-Témouchent 
        à travers l'histoire). Nous en extrayons le chapitre qui suit. La création d'Aïn-Témouchent
 En 1843, des éléments français du 81e de Ligne s'établissent 
        à AïnTémouchent et commencent la construction d'un 
        poste militaire sur l'emplacement qui domine la vallée de l'oued 
        Senane, c'est-à-dire au sud-ouest de la ville actuelle.
 
 Comme les Romains construisirent le Praesidium Sufative, et les Arabes 
        le Ksar Ibn Senane, les Français eurent leur poste militaire qui 
        garda le nom d'Aïn-Témouchent.
 
 Le capitaine français Safrané, qui commandait la garnison, 
        fit aussi construire une ceinture de défense et commença, 
        dès 1844, l'organisation de sa petite agglomération. Non 
        loin du poste et de la cité naissante, demeuraient les Béni-Ameur 
        qui d'ailleurs s'approchaient du camp et vendaient les produits de leur 
        élevage et de leurs maigres cultures. Les premiers commerçants 
        européens, qui suivaient la troupe, et qui étaient à 
        Oran dès 1832, s'installèrent au poste militaire aux côtés 
        des soldats.
 
 A proximité du camp, dans la vallée de l'oued Senane, travaillaient 
        les indigènes qui se consacraient à des travaux de jardinage. 
        Quelques familles israélites de type oriental s'adonnaient essentiellement 
        au commerce.
 
 Le paysage qui entourait les premiers Français ne formait qu'un 
        triste décor de lentisques et de pierrailles et, à l'exception 
        d'un peu de verdure dans la vallée, on ne pouvait voir aussi qu'une 
        étendue de terre, domaine de palmiers nains brûlés, 
        en été, par le soleil.
 
 Le capitaine Safrané s'attacha, après avoir reçu 
        quelques éléments du Génie, à faire du poste 
        l'embryon d'une grande cité et établit un plan d'extension, 
        qu'il soumit à l'autorité supérieure, cependant que 
        l'agglomération de la " Source des chacals " s'animait 
        déjà et posait les inévitables problèmes inhérents 
        à la vie communale. Mais l'émir Abd el-Kader, un moment 
        éloigné des lieux, n'avait pas encore abandonné la 
        partie et l'état d'alerte fut bientôt donné dans le 
        camp.
 
 En 1845, Abd el-Kader n'était plus qu'un chef de partisans qui 
        agissaient par coups de mains. Mais, de part et d'autre, les hostilités 
        avaient une âpreté, une férocité même, 
        qu'elles n'avaient pas encore eues jusqu'alors.
 
 La Déira d'Abd el-Kader, résidu de la smala, constituait 
        à la fois la capitale mobile de l'émir, sa réserve 
        de troupes, son centre d'approvisionnement. C'est autour de la Déira 
        que venaient se grouper les mécontents, les émigrés, 
        les déserteurs, tous les ennemis de la France; c'est de là 
        que partaient les détachements destinés à dévaster 
        le territoire, c'est là qu'ils venaient se refaire après 
        leurs chevauchées.
 
 Le 20 septembre 1845, l'émir tenta une incursion dans la vallée 
        de la Tafna et la région d'Aïn-Témouchent. Les Béni-Ameur 
        se soulevèrent encore et lui prêtèrent main forte. 
        Le 23 septembre, Abd el-Kader, avec environ 6000 hommes, attaqua un détachement 
        commandé par le colonel Montagnac et remporta une victoire due 
        à la supériorité de ses effectifs. Le colonel Montagnac 
        fut tué. Le 24 septembre, le capitaine Géreaux, retranché 
        avec une compagnie au marabout de Sidi-Brahim subit trois attaques et 
        tint bon jusqu'au 26. Le 27 septembre, Abd el-Kader cerna 200 soldats 
        français à Sidi Moussa, près d'Aïn-Témouchent, 
        et les fit prisonniers.
 
 Le 28 septembre, il attaqua le poste d'Aïn-Témouchent et tenta 
        l'assaut dès l'aube. Safrané ne disposait que d'une compagnie 
        du 15e Léger, quelques
 éléments du Génie et des civils plus enclins aux 
        transactions commerciales qu'aux prouesses guerrières.
 
 Il arma tout le monde et essaya d'arrêter la série des succès 
        de l'émir sur la terre même des Béni-Ameur qui livraient 
        leur dernière bataille contre la France et qui ont toujours fait 
        preuve d'un courage que nous nous devons de souligner.
 
 Les vagues d'assaut furent terribles et la petite garnison fut sur le 
        point de capituler après une lutte désespérée. 
        Safrané, dans une dernière action, fit dresser une charrue 
        face à l'ennemi et concentrer le feu de ses hommes autour de l'instrument 
        aratoire, bien pacifique, qui devint alors une formidable bombarde. Les 
        Arabes se replièrent et envoyèrent un émissaire pour 
        négocier la cessation du feu. Le capitaine le reçut dans 
        son réduit et s'emporta violemment contre lui. Une anecdote raconte 
        qu'au paroxysme de la colère, l'officier français retira 
        brusquement de sa bouche son dentier, à la grande stupeur de l'émissaire 
        qui fut convaincu de l'invincibilité d'un homme crachant ses dents, 
        toutes ensemble, sans souffrir. Abd el-Kader se retira et ne reparut plus 
        sur les terres d'Aïn-Témouchent.
 
 Les Béni-Ameur firent leur soumission. Le captaine Safrané 
        demeura, quelques années encore, à la " Source des 
        Chacals " après avoir oeuvré pour la future ville d'Aïn-Témouchent 
        avec une volonté et une passion que nous ne saurions jamais trop 
        mettre en évidence. On peut dire que le tracé, le plan d'extension, 
        les premières constructions et l'encouragement donné aux 
        habitants de s'établir définitivement à Aïn-Témouchent 
        sont dus à Safrané auquel la commune d'Aïn-Témouchent 
        devrait être éternellement reconnaissante.
 
 Le décret historique
 
 Le général de division Pélissier commandant la province 
        d'Oran convoqua, après la soumisssion arabe, une commission de 
        colonisation qui avait pour but d'émettre un avis sur l'établissement 
        du futur centre de population. La commission se réunit à 
        la date fixée, c'est-à-dire le 23 janvier 1850, et MM. Prudon, 
        chef du Génie de Sidi-Bel-Abbès, Wolf, chef du bureau arabe, 
        Echaeker, chirurgien-major, Maurandry, capitaine commandant le service 
        des Domaines, conclurent en l'utilité de la création d'un 
        centre de 300 feux à la place du campement militaire.
 
 Le rapport du 11 décembre 1850, du général Pélissier 
        au Gouvernement général, fait état de travaux de 
        la commission, mais l'avis personnel du général limite à 
        100 feux l'importance du futur centre de population. Après échange 
        de quelques correspondances intéressant la future AïnTémouchent, 
        le décret fut signé le 26 décembre 1851 et rédigé 
        en ces termes :
 
 Au nom du peuple français, le président de la République,
 Vu les ordonnances des 21 juillet 1845, 5 juin 1847, lei septembre 1847, 
        Sur le rapport du ministre de la Guerre décrète :
 Article 1 - Il est créé au camp d'Aïn-Témouchent, 
        dans la subdivision de Sidi-Bel-Abbès, province d'Oran, un centre 
        de population pouvant recevoir 228 feux et qui prendra le nom d'Aïn-Témouchent.
 Article 2 - Un territoire de 1159 hectares, 99 ares, 60 
        centiares est affecté à ce nouveau centre.
 Article 3 - Le ministre de la Guerre est chargé de 
        l'exécution du présent décret.
 Fait à l'Elysée national le 26 décembre 1851.
 Signé: Louis Napoléon Bonaparte.
 
 La cité d'Aïn-Témouchent est née sur les ruines 
        de l'antique Albulae.
 
 Le peuplement d'Aïn-Témouchent depuis 
        1830
 
 La position géographique d'Aïn-Témouchent, au centre 
        d'une région naturelle bien individualisée et au carrefour 
        de routes importantes, est certainement pour beaucoup dans le caractère 
        particulier de la destinée de cette cité au cours des âges 
        comme depuis 1830.
 
 En effet, le poste militaire est vite devenu un chef-lieu administratif. 
        Le marché fréquenté par les indigènes, tous 
        les jeudis, attire les commerçants et négociants, les artisans 
        se multiplient. C'est un bourg qui se constitue, centre administratif, 
        commercial et artisanal d'une riche région agricole.
 
 Le peuplement européen arrivé après 1830 dans la 
        région, et fixé à AïnTémouchent, ne présentera 
        donc pas des aspects semblables à ceux des " centres de colonisation 
        ".
 
 Dès le début, la destinée de la cité est fixée 
        à mi-chemin entre la commune urbaine et la commune rurale.
 
 Enfin, l'heureuse évolution, en cohabitation avec les populations 
        musulmanes, d'éléments ethniques d'origines différentes, 
        tout a contribué à créer une population témouchentoise 
        en apparence hétérogène mais en réalité 
        harmonieusement complète dans sa diversité. " Enrichissons-nous 
        de nos mutuelles différences " a dit Paul Valéry. Cette 
        sentence reste vraie à AïnTémouchent, à travers 
        les années, malgré les mesquines petites luttes d'intérêt 
        de familles ou autres, souvent camouflées, plus ou moins adroitement, 
        (et de façon peu durable) en luttes politiques superficielles.
 
 Il est à noter pourtant que les " accès " de la 
        politique locale n'ont jamais réussi à prendre ampleur grave. 
        Les tentatives d'utilisation des moyens racistes aux alentours de " 
        l'affaire Dreyfus " et des agitations du type " Max Régis 
        " n'ont jamais trouvé d'écho sérieux à 
        Aïn-Témouchent, les essais de diffusion des grandes propagandes 
        diverses n'ont intéressé que par les solutions proposées 
        pour l'économique ou le social. Pour tout dire, c'est aux problèmes 
        de la vie matérielle qu'on s'est surtout attaché. Les idéologies 
        n'ont pas véritablement intéressé les populations, 
        et même lorsque dans des périodes de crise, des luttes se 
        sont ouvertes en apparence, elles camouflaient en général 
        de sordides rivalités commerciales ou autres, dont les règlements 
        de compte avaient besoin d'un prétexte plus avouable sinon d'une 
        excuse légale (comme on l'a vu ailleurs au nom du terrorisme ou 
        de l'antiterrorisme actuellement en Tunisie et au Maroc).
 * ** * *
 C'est donc avant tout autour des activités économiques 
        que s'est construite la population témouchentoise depuis 1830. 
        Et c'est à l'initiative privée que l'on doit les premières 
        installations d'Européens dans la région. En effet, surtout 
        après l'expédition malheureuse de 1848 dans la région 
        oranaise et l'épidémie de choléra de 1849, l'autorité 
        militaire n'était guère encline à hâter l'organisation 
        civile de la région. De plus, aucune doctrine n'était encore 
        fixée, (et il n'y en a eu apparemment jamais, hélas, ni 
        en Algérie ni sur aucun autre territoire de " colonisation 
        française ").
 Les erreurs ou les insuffisances d'organisation se répercutèrent 
        en particulier sur le ravitaillement de la région. A plus forte 
        raison, on mit assez longtemps à procéder à une répartition 
        des terres par concession. La première demande connue est celle 
        de M. Pautrier, formulée le 23 février 1849, enregistrée 
        le 24 février sous le numéro 113 et instruite par l'officier 
        d'administration militaire Enjalbert. Elle ne fut pas suivie d'effet, 
        du moins à ce moment, ainsi qu'il ressort du rapport adressé 
        à l'autorité supérieure par le lieutenant-colonel, 
        commandant supérieur de Tlemcen, et dont voici les
 termes :
 " En réponse à votre lettre du 23 février 1849, 
        j'ai l'honneur de vous informer que la commission consultative de Tlemcen 
        a été saisie de la demande du sieur Pautrier, tendant à 
        obtenir une concession de vingt-cinq hectares à Aïn-Témouchent, 
        mais il ne peut être donné suite quant à présent. 
        Cette partie de la Subdivision fait l'objet d'un grand travail qui est 
        à l'étude pour l'établissement des premiers centres 
        à créer dans ce pays et rien n'a encore été 
        accordé. La demande du sieur Pautrier a été prise 
        en considération, et, aussitôt qu'une détermination 
        ultérieure aura été prise, j'aurai l'honneur de vous 
        informer.
 Veuillez agréer, mon Général, l'hommage de mon respect.
 Le lieutenant-colonel, commandant Tlemcen ".
 
 Ainsi, en 1849, aucune concession n'avait été accordée, 
        et pourtant des hommes se livraient déjà à la culture. 
        Immigrants, anciens soldats ou soldats, sans autorisation officielle, 
        sans aucune garantie, ils avaient vite estimé la richesse pratiquement 
        inexploitée d'un sol souvent ingrat. Ni la fièvre, ni l'insécurité, 
        ni surtout l'ampleur des tâches à accomplir ne découragèrent 
        ceux qui fixèrent leur destin à Aïn-Témouchent 
        avant 1851. Installés au milieu des populations indigènes 
        (diminuées physiquement par la fièvre, les querelles intestines, 
        et la sous-alimentation) ces hommes, animés sans doute par l'esprit 
        d'aventure, mais armés de combien de courage et de volonté 
        de travail, ces véritables " pionniers ", cherchaient 
        leur place au soleil et prirent pied dans la région. Le commerce 
        et le négoce devaient compléter heureusement des activités 
        nécessaires autour des agriculteurs et artisans. Certains étaient 
        riches des solides vertus paysannes et de la traditionnelle expérience 
        du terroir français, d'autres apportaient des modes de culture 
        plus adaptés déjà et une endurance physique appropriée 
        acquise dans les huertas de Murcie, d'Alicante ou de Valence. Tous s'imposèrent 
        assez vite et prirent rapidement figure de guides ou de chefs au milieu 
        des populations musulmanes où ils cultivaient leurs jardins en 
        toute quiétude. D'autres enfin, Israélites venus pour la 
        plupart à longue échéance, d'Espagne par Tétouan, 
        Oujda et Tlemcen, vinrent consolider et compléter l'armature du 
        peuplement témouchentois.
 * * *
 Les premiers concessionnaires ne furent donc pas les premiers 
        défricheurs. C'est à l'initiative purement privée 
        que l'on doit les premières installations d'agriculteurs. Tout 
        le reste s'engrena assez vite, surtout après la répartition 
        des terres de concession. L'essor de la région fut magnifique pour 
        atteindre les plus hauts sommets. Economiquement solidaires, toutes les 
        classes sociales et tous les éléments ethniques de la population 
        participèrent à une évolution spectaculaire avec 
        d'inéluctables accidents, inconvénients de la libre entreprise.
 On a coutume de dire en métropole: " Quand le bâtiment 
        va, tout va ", dans la région d'Aïn-Témouchent, 
        il faut dire " Quand le vin se vend, tout va ". Tellement la 
        solidarité est étroite dans cette population unie par un 
        ensemble d'activités dont évidemment les profits sont humainement, 
        donc inégalement, répartis.
 
 Oui, à l'apport des colons français, il ne faut jamais oublier, 
        en Oranie et encore plus à Aïn-Témouchent, d'ajouter 
        la contribution incomparable des immigrants espagnols, maraîchers, 
        jardiniers, artisans, ouvriers et contremaîtres, ni l'appoint des 
        commerçants et artisans israélites. Le brassage, pour n'avoir 
        pas été réalisé dans l'ordre personnel et 
        familial, s'est brillamment exécuté dans le domaine social 
        et économique.
 Bien avant les diplomates actuels, les Témouchentois ont démontré 
        les avantages de la " cohabitation " ou de la " coexistence 
        " dans le respect mutuel de chacun, surtout sur le plan religieux. 
        Les trois communautés musulmane, chrétienne et israélite 
        vivaient ensemble malgré les inévitables convulsions internes 
        suscitées le plus souvent par des rivaliltés d'inspiration, 
        souvent terre à terre, mais toujours dissimulées sous des 
        prétextes commodes (politiques ou autres).
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