| Aïn FraninUn coin de
 paradis
 par Monique Vicedo-Bertier
 Les origines, petit rappel historique
 Aïn Franin se trouve à treize kilomètres à l'est 
        d'Oran. Descendant de la Montagne des Lions, quelques sources l'alimentent 
        en eau, cette denrée si rare et si précieuse dans le monde 
        méditerranéen.
 
 Les Romains utilisèrent même la source d'eau chaude qu'ils 
        baptiseront Ipsala, depuis les Portus divini (Oran) et Portus deorum (Mers 
        el-Kébir). Après l'arrivée des envahisseurs arabes, 
        c'est au tour des Espagnols de faire leur apparition dans cette partie 
        de l'Afrique du Nord.
 
 Le 11 septembre 1505 des troupes débarquent au Cap Falcon. Le 13, 
        Marzalquivir est enlevée. Sans eau et sans espace pour déployer 
        les troupes la forteresse est difficile à défendre. Les 
        Espagnols y demeurent enfermés, se ravitaillant par des " 
        sorties " périlleuses. La prise d'Oran apparaît donc 
        nécessaire.
 
 Le dimanche 20 mai, Ximenes entre enfin en vainqueur dans la ville. Malgré 
        d'incessantes difficultés, les Espagnols tiendront les deux places 
        fortes jusqu'en 1792, date à laquelle ils quitteront définitivement 
        la région, après qu'un tremblement de terre ait ruiné 
        les remparts et la ville d'Oran, à moitié détruite 
        par le séisme.
 
 En 1830, l'armée française entreprend la conquête 
        de l'Algérie. Le gouvernement militaire va peu à peu organiser 
        et faire mettre en valeur les nouveaux territoires.
 C'est ainsi qu'une ordonnance royale du 4 décembre 1846 crée 
        sur les lieux- dits de Santa Cristina, Isabel et San Fernando, les centres 
        de population de Christine et de Joinville.
 
 Le colon doit faire une demande d'attribution d'un de ces lots, accompagnée 
        d'un certificat du maire de la commune de résidence attestant de 
        la composition de la famille et des ressources du candidat. Le colon reçoit 
        alors un titre de concession provisoire qui précise les travaux 
        de mise en valeur qu'il doit accomplir dans un certain délai, faute 
        de quoi, il perdra ses droits.
 
 Les premiers colons
 
 En mars 1847, la compagnie Veyret et Delbasso construit une ferme à 
        Tazout (San Fernando), une autre à Aïn Franin et un véritable 
        village à Kristel.
 
 En juillet 1850, le " Bureau arabe " installe provisoirement 
        les frères Hubert, sur un terrain vacant dans une vallée 
        située sur la commune de Christine dans l'ancien territoire de 
        la tribu des Phranins. La concession est de 35 ha. En juillet 1855, les 
        autorités contrôlent les travaux réalisés par 
        les frères Hubert: " Ceux-ci ont bâti une ferme qu'ils 
        habitent. Elle comporte des écuries, des hangars, un four à 
        pain, le tout entouré d'un mur en maçonnerie formant une 
        cour et un four à chaux. Ils ont creusé un puits de 34 m 
        de profondeur surmonté d'une tour à manivelle, ont planté 
        une vigne d'environ 20 ares et défriché 6 ha ". Toujours 
        en juillet 1855, sur Christine, des " demandes de concessions sont 
        formulées par l'indigène Ben Keir Ben Beccoucha ".
 
 Une partie de la propriété de Mohamed Bel Caïd située 
        sur cette commune, au-dessus du Belvédère, deviendra le 
        douar d'Aïn Franin où vivent actuellement les descendants 
        d'Habib, le jardinier de ce lieu.
 
 En 1856, les 35 ha touchant aux concessions de la Compagnie Veyret et 
        des Servajean sont définitivement attribués aux frères 
        Hubert.
 
 Aïn Franin qui, à cette époque, fait partie du domaine 
        de la commune de Christine, sera plus tard géré par l'administration 
        des Eaux et Forêts et rattaché à la commune d'Assi-ben-Okba. 
        Il est desservi par la route qui relie, en passant par Canastel, Oran 
        à Kristel. Il se blottit au pied de la Montagne des Lions, entre 
        le Cap Roux et la Pointe de l'Aiguille, ce Djebel Khar, culminant à 
        611 m.
 
 Avant 1962, cinq lieux-dits se suivaient d'ouest en es t: La Source, la 
        Mine, le Hameau, le Bassin, le Petit Port, Mon Rêve-Passaro.
 
 La " Source d'eau chaude ": Yepserra
 
 Elle est située en contrebas du Belvédère qui offre 
        une vue exceptionnelle sur toute la baie, au lieu baptisé par les 
        Espagnols " La Plâtrière ".
 
 Dans les années cinquante, c'est le docteur Bergali, propriétaire 
        des lieux qui, intrigué par la présence de filets d'eau, 
        fit creuser une excavation d'environ 2 m de profondeur.
 
 Il retrouva ainsi la source dont le souvenir s'était estompé 
        dans la mémoire des hommes. Il la baptisa " Yepserra ", 
        nom tiré du castillan " yesera ", plâtrière, 
        et du valencien " geps ", plâtre. Avec l'idée de 
        l'exploiter, il fit étudier cette eau chaude qui se révéla 
        être une eau minéralisée. Bicarbonatée, sulfatée, 
        calcique et carbogazeuse, elle présentait les caractéristiques 
        des sources de Royat par son gaz carbonique, de Vittel par son sulfate 
        de calcium et de Vichy par ses bicarbonates. Elle soignerait la dyspepsie 
        et les maux cardio-vasculaires. La source débitait 800 m3 par jour, 
        à une température de 36,5°.
 
 Nous allions nous y baigner assez souvent et nos grands-parents y faisaient 
        de pittoresques " trempettes " pour s'y débarrasser de 
        leurs maux !
 Un projet de développement d'une exploitation thermale de boisson 
        et de bains thermo-gazeux fut sérieusement étudié, 
        puis abandonné pour des raisons que nous ignorons (*)
 * Le Dr Bergali n'aurait reçu l'agrément pour ces installations 
        qu'après son retour en France. Une crise cardiaque l'aurait emporté 
        le lendemain.
 
 La Mine
 
 La Mine tire son nom du graphite qui y sera exploité jusqu'en 1942-1943. 
        Elle fut ensuite abandonnée.
 
 A environ 2 km à l'est de la " Source d'eau chaude ", 
        on découvre une autre source à l'eau claire, abondante et 
        merveilleusement fraîche, parfaitement adaptée au " 
        traitement " de l'anisette.
 
 En 1850 un lot de colonisation y est attribué à une famille 
        composée des deux parents et de leurs trois enfants. Ils n'ont 
        pour toute fortune qu'un âne, deux chèvres et quelques hardes.
 D
 'autres concessionnaires les suivront sans beaucoup de succès, 
        semble-t- il.
 
 Cette source a contribué à faire de ce coin, assez éloigné 
        d'Oran, à une époque où les automobiles étaient 
        encore assez rares, un lieu de vacances inoubliables.
 
 Dès 1935, au hasard d'une promenade, bucolique, Camille Mugnier 
        fut conquis par la tranquillité et la beauté du site. Il 
        y fit construire sa villa le long d'un chemin carrossable, dans une forêt 
        de pins odorants, montant vers les contreforts de la Montagne des Lions. 
        Par-delà un vaste champ de blé - exploité alors par 
        Habib Benselka - le regard embrassait toute la baie, du Cap Roux à 
        la pointe de l'Aiguille.
 
 Au fil des ans, quelques cabanons transformés pour certains en 
        villas, y trouvent refuge. Ceux des Mugnier, Simon, Salord, Espinosa, 
        Laffargue et Estève. (M. Salord, bijoutier à 
        Oran, revendra son cabanon à M. Freynet qui en fera le restaurant 
        bien connu " Villa Jeanne d'Arc ". M. Espinosa, gérant 
        de " La Boule d'argent " à Oran cédera le sien 
        aux Fernandez-Camallonga).
 
 Le courant électrique n'arrivant pas encore jusque-là, chacun 
        s'éclairait en fonction de ses goûts et de ses possibilités 
        : éoliennes, batteries, lampes à carbure ou à pétrole 
        et parfois même simples bougies... Cette lumière parcimonieuse 
        et vacillante, qui nimbait les ombres de mystère, ajoutait encore 
        à la magie des longues soirées.
 
 Fabriquer son électricité faisait partie des corvées 
        quotidiennes et le bruit des moteurs rechargeant les batteries avant la 
        veillée déchirait la quiétude du crépuscule.
 Plus tard, dans les années 1955 une ligne téléphonique 
        fut tirée jusqu'à La Mine grâce à l'entregent 
        de Marc Freynet qui avait besoin de cette commodité pour la bonne 
        marche de son restaurant.
 
 Malgré le nombre restreint de familles, l'endroit " grouillait 
        " d'enfants. Nous étions une bonne vingtaine à laquelle 
        venaient s'ajouter ceux qui accompagnaient leurs parents, séjournant 
        chez les " résidents ", comme Roland ou Gérard 
        Billaut, ou déjeunant à la " Villa Jeanne d'Arc ". 
        Nous formions une petite troupe toujours sous les armes et prête 
        à toutes les aventures. Des " francs- tireurs " de passage, 
        Guy Macia, Jean-Louis Cornuet, André-Paul Bonifacio..., venaient 
        parfois soutenir les unités régulières lors d'opérations 
        spéciales. Ces équipées enfantines donnent naissance 
        à une foule d'anecdotes que nous nous racontons avec gourmandise 
        lorsque nous nous rencontrons. Anecdotes qui paraissent ésotériques 
        au non-initié qui, par mégarde, s'aventure dans la conversation. 
        Un simple mot, qui entraîne une foule d'images toujours présentes 
        en arrière-plan déclenche une hilarité incoercible. 
        Dans un flash-back étourdissant nous voyageons dans le temps à 
        la vitesse de la pensée. Instantanément nous nous retrouvons 
        plongés au coeur du siècle dernier, en proie à ces 
        fous rires qui nous laissaient hors d'haleine mais en pleine béatitude.
 Te souviens-tu...
 
 Ain Franin: Le Hameau
 
 En suivant la départementale 75 qui vient d'Oran, à quelques 
        encablures de La Mine, en direction de Kristel, on arrive au hameau proprement 
        dit d'Aïn Franin.
 A gauche un chemin ombragé aboutit à la maison du garde-champêtre, 
        la " Maison Forestière ", construite sur une esplanade 
        qui surplombe un terrain de volley et le Petit Port. La vue sur toute 
        la baie est splendide.
 
 Cette maison abritait la famille de M. Duhan, nommé à ce 
        poste de 1940 à 1952. Son prédécesseur lui avait 
        raconté comment il capturait les vipères dites :
 Vipères d'Arzew qu'il expédiait à Alger pour que 
        leur venin y soit étudié. Ce venin qui pouvait provoquer 
        la mort en une heure, était utilisé à des fins médicales.
 C'est M. Arnaud qui succéda à M. Duhan.
 
 Le Petit Port
 
 Un second chemin descendait vers le Petit Port, avec sa jetée, 
        ses bateaux de pêche et une petite plage de galets. Les habitants 
        du petit port ne bénéficiaient pas de l'eau courante comme 
        à La Mine.
 
 Y résidaient les familles Bar Christiane, Barres-Ferrant, Calistro, 
        Chaffanel, Fonquernie, Gonzalez, Herrero-Lopez G., Ladreyt, Mellado-Cabrera, 
        Ortigosa-Montesinos, Quilès, Robles-Servole, Rodriguez-Parra, Rosensweg, 
        Sala Jean, Sempere-Simon, Simon, Storto, Terol...
 
 Le Bassin
 
 La maison d'Habib Ben Selka, l'assistant du garde forestier, se dressait 
        juste dans le prolongement de la maison forestière. On y accédait 
        par un chemin de terre dans l'ombre épaisse de caroubiers vénérables, 
        de faux poivriers et d'eucalyptus à l'odeur entêtante. Nous 
        " tombions " alors sur un bassin d'arrosage. L'eau qui jaillissait 
        du tuyau d'alimentation produisait un murmure envoûtant qui renforçait 
        le mystère du lieu. De nombreux poissons rouges nageaient entre 
        deux eaux, sans bruit. Puis dans un éclaboussement sonore, ils 
        bondissaient à demi hors de l'eau pour gober un insecte imprudent. 
        Ces maisons et ces jardins appartenaient au service des Eaux et Forêts.
 
 A droite de la route vivaient les familles Mage, Leninger, Chanu, Mas 
        et d'autres familles encore dont j'ignore le nom.
 En suivant toujours la route départementale, il y avait une très 
        jolie roseraie. En continuant notre promenade nous parvenions à 
        hauteur des villas des familles Rouge (des huileries Rouge d'Oran).
 
 Mon Rêve - Passaro
 
 Vers la gauche, un chemin de terre menait au restaurant " Mon Rêve 
        ", situé sur une falaise qui surplombait la mer. En période 
        estivale, chaque samedi, le restaurant se transformait en salle de cinéma 
        à la plus grande joie des jeunes et des moins jeunes.
 
 Aïn Franin restera à jamais gravé dans mes souvenirs 
        comme un petit coin de paradis terrestre où il faisait bon vivre...
 
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