| Le miracle 
        de la vignePaul Birebent
 L'Algérie agricole de 1830 était 
        un pays pauvre. Ses habitants répugnaient à tirer profit 
        de ses ressources naturelles. Pour la majorité des Arabes et Berbères, 
        l'économie se limitait à satisfaire leurs besoins immédiats. 
        L'activité essentielle, hors les villes, consistait à cultiver 
        de l'orge et du blé dur et à élever des moutons. 
        Toutes les autres spéculations, arboricoles ou maraîchères, 
        demeuraient secondaires.
 La vigne introduite par les Phéniciens et ravagée après 
        la conquête musulmane, n'avait jamais complètement disparu. 
        A la chute de la Régence turque, elle recouvrait environ 2 000 
        ha, disséminés en petits lopins autour des villes de la 
        côte et de la montagne et des fermes de notables. La production 
        était destinée à la consommation en fruits frais 
        et en raisins secs, et à l'élaboration d'un peu de vin cuit 
        bu sur place et parfois exporté par des navires en transit.
 
 Dans les premières années de la colonisation, les bateaux 
        venus de France et qui ravitaillaient une Algérie improductive, 
        transportaient essentiellement de la farine, du sucre, du riz, du tabac 
        à chiquer et des barriques de vin. Ce vin, jugé indispensable 
        pour le moral et le maintien de la bonne condition physique des troupes, 
        était de piètre qualité et ne se conservait pas. 
        Il en résultait un " empoisonnement général 
        qui brûlait les entrailles sous la double influence de la chaleur 
        et de la soif ".
 
 La " Commission d'Afrique " cependant déconseillait de 
        planter de la vigne pour ne pas concurrencer la production française 
        déjà excédentaire. Elle admettait toutefois que le 
        sol et le climat lui étaient favorables. Quelques colons et maraîchers 
        espagnols s'essayaient, sans grand succès, parce que, sans matériel 
        approprié, à faire du vin à partir de raisins achetés 
        aux indigènes et de plants ramenés d'Europe dans leurs bagages.
 
 C'est après la bataille de l'Isly et le début de la colonisation 
        officielle, militaire d'abord qui se soldait par un échec, puis 
        civile avec la création de villages que, prudemment, commençait 
        la spéculation viticole.
 
 L'un des premiers à en prendre l'initiative était le colonel 
        de Saint-Arnaud qui commandait la subdivision d'Orléansville. " 
        Je ferai continuer mes plantations... je planterai cette année... 
        beaucoup de vignes ". Cela se passait en 1845.
 
 Trois ans plus tard les colons qui débarquaient avec les " 
        convois de 48 " ignoraient où les envoyait l'Etat qui les 
        avait recrutés. Les discours, les affiches officielles étaient 
        floues et mensongères. Pour le plus grand nombre d'entre eux, ils 
        croyaient à la " terre promise " et au " vent du 
        large " et ne pouvaient imaginer de pires conditions que celles qui 
        les attendaient : la brutalité et le mépris des militaires, 
        l'impréparation totale, le provisoire sans limite de temps, l'absence 
        de perspectives économiques, les hésitations et la discipline 
        imposée, l'arbitraire des autorités.
 
 Ayant quitté la France dans le dénuement le plus complet, 
        ils ne pouvaient revenir en arrière. Ils n'avaient pas d'autre 
        choix que de s'accrocher et de tenter l'impossible. Pour nombre d'entre 
        eux, la colonie était un retour à la terre, y compris pour 
        les " Parisiens " originaires des provinces. Ils en avaient 
        été chassés, à une époque ou à 
        une autre, par la tradition de l'héritage au fils aîné, 
        par les incertitudes du métier occasionnel de brassier (quelqu'un 
        qui loue ses bras), les mouvements migratoires vers l'illusion urbaine 
        de l'industrialisation.
 
 A cette époque, le vignoble algérien recouvrait environ 
        750 ha dont 200 Lins le Sahel algérien, 300 à Mascara et 
        le reste réparti entre Miliana, I lougie, Bône et Oran, alors 
        qu'en France venait d'éclater la première crise viticole, 
        celle de l'oïdium ( Maladie produite 
        par un champignon venu d'Amérique. Elle sera traitée par 
        des poudrages au soufre sec.).
 
 Les convois de 1848, après des premières années difficiles, 
        allaient donner in essor considérable à la vigne. L'administration 
        prenait en effet conscience des possibilités offertes par cette 
        nouvelle culture et décidait de fournir des plants aux colons des 
        centres de colonisation. L'expérience se soldait I Jar un échec 
        mais l'élan était donné.
 
 En 1854, la récolte métropolitaine avait chuté de 
        54 millions d'hectolitres à 11 millions. Le prix du vin augmentait 
        considérablement et le négoce français s'approvisionnait 
        en vins à l'étranger. L'idée de rendre l'Algérie 
        autosuffisante et pourquoi pas exportatrice, commençait à 
        s'imposer. Les plan- la fions anarchiques des premiers temps se multipliaient 
        mais avec un peu Mus de réflexion: choix des cépages et 
        des expositions, des types de sols et des densités. En 1861, les 
        vignes recensées étaient de l'ordre de 5500 ha, alors que 
        le vignoble métropolitain avait retrouvé sa pleine capacité 
        de production. De nombreux viticulteurs français chassés 
        par la crise, avaient choisi d'émigrer en Algérie. Ils apportaient 
        leur savoir-faire.
 
 Il n'y avait pas parmi eux que des hommes vertueux. Certains s'exilaient 
        à cause de leurs opinions politiques ou de leur comportement social. 
        Ils en tiraient une grande fierté. A la classe ouvrière, 
        à celles des paysans et des bourgeois, s'ajoutait celle de la petite 
        noblesse, les " gants jaunes ". Ils débarquaient en bonnets 
        de laine, en casquettes de toile, en chapeaux ronds de cuir. Ils transportaient 
        des pioches, des faucilles, des poêles, des chaudrons, des couvertures. 
        Ils avaient presque tous, mais cela ne se voyait pas, des qualités 
        d'audace, de persévérance, de travail, d'épargne, 
        d'ingéniosité qu'eux-mêmes ne soupçonnaient 
        pas.
 
 Lentement la colonisation s'étendait et gagnait toute l'Algérie. 
        Des plantations de vignes limitées, disparates, hétérogènes, 
        se faisaient un peu partout et étaient condamnées à 
        l'échec. Des boutures de vignes affluaient de toutes les régions 
        viticoles de France, d'Espagne, d'Italie, et d'ailleurs. Elles étaient 
        plantées selon les traditions anciennes de leurs pays d'origine 
        et sans tenir compte des spécificités climatiques et pédologiques 
        (étude la composition des sols) algériennes.
 
 De grands noms de France de la noblesse et de la banque, de grosses fortunes 
        favorisées par la politique du Second Empire, investissaient dans 
        la vigne, ce qui faisait dire au directeur général des services 
        civils de l'Algérie " que l'Algérie serait un jour 
        un des grands pays viticoles du monde ". En attendant, le pays subissait 
        toutes les calamités agricoles des " années terribles 
        " et des " années noires ", révolte des tribus 
        du sud, sirocco et pluies torrentielles, sécheresse et invasions 
        de sauterelles, famine, exodes de populations, épidémies 
        de choléra et de typhus. Des colons, qui avaient survécu 
        et voulaient continuer, avaient acquis une certaine expérience 
        qui, appliquée à la vigne, permettait d'améliorer 
        qualité et production. A la chute de l'Empire en 1871, la colonie 
        produisait sur 12 000 ha 127000 hectolitres de vin.
 
 Aux incertitudes de l'utopique royaume arabe rêvé par Napoléon 
        III, faisait suite avec la Hie République une politique active 
        de peuplement, d'équipement et de progrès dans les institutions. 
        La colonisation privée se développait et prenait un essor 
        considérable dont profitait la vigne. L'Oranie jusque-là 
        délaissée, du fait de son climat plus sec, accédait 
        en superficie à la première place du vignoble algérien.
 
 Pendant ce temps, la France subissait la crise phylloxérique qui 
        détruisait progressivement la totalité de son vignoble ( 
        En 25 ans, depuis 1863, 2300000 ha arrachés et replantés.). 
        Le ministère de l'Agriculture se tournait vers l'Algérie 
        " pour apporter un palliatif à ce désastre viticole, 
        agricole et commercial ", et décidait " q u 'o n planterait 
        de la vigne partout où la nature du sol semblerait lui convenir 
        ". L'Algérie réagissait et se couvrait de vignes. Elle 
        était le miracle économique attendu depuis 1830, la solution 
        enfin trouvée à tous les échecs, à toutes 
        les hésitations; le remède universel aux crises passées, 
        à la pauvreté, à l'emploi, au manque de fonds propres. 
        C'était aussi l'avis de l'administration qui demandait aux banques, 
        dès 1877, d'élargir les crédits à tous les 
        agriculteurs. Ces perspectives nouvelles de crédit attiraient environ 
        10000 viticulteurs ruinés du Midi, qui avaient l'ambition de reconstruire 
        une carrière viticole dans un pays neuf.
 
 Avec eux et avec les descendants de la première génération 
        de colons, la n igne gagnait du terrain et allait de plus en plus loin 
        et de plus en plus haut. Elle précédait le tracé 
        des routes et la fondation des villages. Elle 'réait des emplois 
        sédentaires et saisonniers, elle entraînait l'ouverture de 
        i'raits commerces, de services, d'administration. Elle modifiait ou relançait 
        économie.
 
 Pour la première fois en 1885, l'Algérie dépassait 
        le million d'hectolitres avec 60410 ha en production. Pour la première 
        fois aussi, apparaissait la menace d'excédents et de crise viticole, 
        bien que la colonie soit devenue,avec 320 900 hectolitres, le troisième 
        fournisseur de sa métropole.
 
 Le 2 juillet 1885, le phylloxéra était découvert 
        près de Tlemcen et allait progressivement gagner tout le pays. 
        Mais la parade était trouvée avec le greffage de plants 
        français sur des vignes sauvages américaines et une loi 
        de 1886 organisait la lutte contre ce parasite des racines qui avait détruit 
        le Vignoble français. L'unanimité ne se faisait pourtant 
        pas parmi les viticulours algériens. Certaines régions étaient 
        atteintes, d'autres pas et une longue lutte allait opposer pendant des 
        années : " am éricanistes " et " non ri in 
        é ricaniste s ", pour prendre fin en 1898.
 
 Avec la reconstitution de son vignoble, la production française 
        atteignait, en 1900, un potentiel de 60 millions d'hectolitres. Plus de 
        500000 ha avaient été replantés sur vignes américaines 
        greffées en cépages très productifs, et le plus souvent 
        en terres basses, alluvionnaires et fertiles. Le vin produit était 
        généralement invendable en l'état, pauvre en couleurs 
        et en tannins, avec de fortes acidités et de faibles degrés. 
        Il avait besoin de remontants, de vins de coupage ou d'assemblage, inexistants 
        en France.
 
 En Algérie, depuis le début de l'attaque phylloxérique, 
        la superficie plant ée en vignes avait doublé et recouvrait 
        145 000 ha qui produisaient 5,5 millions d'hectolitres. Le prix du vin 
        n'avait pas suivi et avait perdu près de la moitié de sa 
        valeur en dix ans. Les vins d'Algérie devenaient pour les vins 
        du Midi des concurrents sérieux puisqu'ils possédaient naturellement 
        tout ce qui leur manquait. Il fallait les disqualifier et les écarter. 
        Commençait alors une " guerre du vin " qui allait durer 
        sept ans. Tous les arguments étaient utilisés pour dénigrer 
        les vins algériens. Leurs producteurs étaient accusés, 
        sans preuves, de frauder. On décelait dans les vins des matières 
        suspectes, des cendres, des acides qui perforaient l'estomac. Leur goût 
        de terroir devenait un goût de vin trafiqué.
 
 En réponse, l'Algérie exigeait des analyses complètes 
        et des comparaisons avec les vins importés et les vins des autres 
        régions françaises où la fraude à grande échelle 
        avait commencé dès le début de la crise phylloxérique 
        : addition illégale de sucre, fermentation de deuxième cuvée 
        par addition d'eau sucrée sur les marcs, élaboration de 
        piquettes par lavage des marcs, utilisation de raisins secs et de figues 
        de Grèce et de Turquie, ajout de produits chimiques.
 
 Tout cela se faisait sans contrôle pour le plus grand bénéfice 
        de négociants et trafiquants peu scrupuleux malgré des lois 
        votées en 1900 et 1903 pour limiter la pratique de la chaptalisation 
        (Addition de sucre de betterave.).
 
 Les " frères de misère " du Midi de la France 
        s'en prenaient à la " fertile colonie algérienne " 
        et exigeaient la taxation de ses vins, la démission des élus; 
        ils ordonnaient la grève des impôts, déclenchaient 
        des manifestations, bloquaient les navires en provenance d'Algérie.
 
 Les syndicats agricoles d'Algérie réagissaient et demandaient 
        la suppression du monopole du pavillon et la possibilité de faire 
        transiter leurs vins par des ports d'Espagne et d'Italie. Ils souhaitaient 
        que des déclarations de récoltes avec contrôle soient 
        rendues obligatoires, seul moyen d'empêcher la fraude, tant au niveau 
        de la propriété que de celui du commerce, dans les caves, 
        les transports, les entrepôts.
 
 Pendant ce temps, les cours du vin continuaient de chuter et la " 
        révolte des gueux " éclatait dans le Languedoc en 1907. 
        D'immenses rassemblements dans les grandes villes dénonçaient 
        la fraude et les fraudeurs et mettaient en cause les betteraves du Nord 
        et les régions viticoles sans soleil, incapables de produire du 
        vin sans faire usage du sucre et d'artifices de " fabrication ".
 
 Insensiblement cependant, les points de vue des deux côtés 
        de la Méditerranée se rapprochaient. Vignerons d'Algérie 
        et vignerons du Languedoc comprenaient qu'ils menaient le même combat 
        et décidaient de s'unir " contre la fraude sous toutes ses 
        formes et contre les fraudeurs de tous poils ". Cette année 
        1907, la récolte métropolitaine dépassait les 66 
        millions d'hectolitres auxquels s'ajoutaient les 8,6 millions d'Algérie. 
        Rien n'était réglé. Les excédents s'accumulaient. 
        Ils étaient dus à l'inconscience des hommes. Surendettés, 
        de nombreux colons renonçaient et se résignaient à 
        vendre leurs exploitations. Ces ventes entraînaient des concentrations 
        de vignobles au profit de riches sociétés et de viticulteurs 
        plus aisés ou plus I la nceux. La petite propriété 
        avait tendance à disparaître.
 
 Les viticulteurs algériens comprenaient qu'il fallait changer de 
        méthodes, ( l'abord par un meilleur choix des variétés 
        de vignes avec des cépages itioins productifs, mais surtout en 
        améliorant les techniques de vinification. I )es colons, des chercheurs 
        imaginatifs s'ingéniaient à mettre au point et à 
        répandre " les procédés modernes de vinification 
        en pays chaud ". L'Ecole (l'agriculture de Rouiba devenait la première 
        du nom en matériels viti-vinimies. Ceux qui étaient mis 
        au point en Algérie s'exportaient dans tous les pays qui cultivaient 
        de la vigne. Les efforts de recherche portaient esseniellement sur la 
        maîtrise des températures et la conservation des vins sans 
        oxygénation et risques d'altération. Aussitôt la qualité 
        des vins s'améliorait, entraînant un vaste mouvement de rénovation 
        et d'équipement et la création de caves coopératives. 
        Lors d'une session d'un Congrès international de la viticulture, 
        un intervenant se permettait de déclarer en saluant les efforts 
        consentis en Algérie: " Nous savons aujourd'hui que la conduite 
        des fermentations en pays chauds est un art dont les viticulteurs de France 
        n'avaient pas une idée... une science nouvelle est née ".
 
 Désormais face à la demande croissante de la métropole, 
        le vignoble algérien retrouvait un rythme de développement 
        accéléré. La raison en était évidente. 
        Alors que la France produisait en 1914, 60 millions d'hectolitres de " 
        vins épais et bleuâtres " dont à peine 2 millions 
        atteignaient 11° d'alcool, les vins d'Algérie titraient couramment 
        13° et parfois 14° et 15° et sans aucun artifice. Les négociants 
        métropolitains avaient donc impérativement besoin des vins 
        algériens qui devenaient plus que jamais des " vins médecins 
        ". Cette même année, l'Algérie battait un record 
        de production avec plus de 10 millions d'hectolitres pour une superficie 
        proche de 150 000 ha. La fin de la Grande Guerre relançait l'extension 
        du vignoble algérien un moment ralenti. Commençait alors 
        ce que l'histoire a appelé le " temps béni des colonies 
        ". La vigne en 1925 recouvrait 200 000 ha et s'étirait d'est 
        en ouest sur un millier de kilomètres et en Oranie sur 200 km de 
        profondeur. En altitude, des sables du bord de mer, elle grimpait à 
        1 200 m à Ben Chicao et à 1 300 m à Bossuet.
 
 Dix ans plus tard, au moment des fêtes commémoratives du 
        centenaire, la superficie viticole approchait les 300 000 ha et sa production 
        oscillait entre 15 et 22 millions d'hectolitres. La Colonie expédiait 
        ses vins par milliers d'hectolitres à Bordeaux, Chalon-sur-Saône, 
        Châteauneuf-du-Pape, Tain l'Hermitage, Beaune, Mâcon, Nuits, 
        vers les plus réputées des régions françaises 
        qui connaissaient certaines années des déficiences en couleur, 
        de faibles degrés ou de trop fortes acidités.
 
 Et le mouvement s'accélérait vers le Midi de plus en plus 
        demandeur. L'Algérie devenait le premier fournisseur de la France 
        avec, bon an mal an, l'expédition d'environ 10 millions d'hectolitres.
 
 Alors que la presse et l'opinion française affichaient leur mépris 
        pour le vin algérien, " La France est célèbre 
        par ses crus, l'Algérie ne connaît que les vins de chais 
        ", les organisations syndicales algériennes décidaient 
        de réagir et de promouvoir leurs vins par des classifications territoriales 
        à l'image de ce qui se faisait en métropole. Leur ambition 
        n'était pas de concurrencer des appellations réputées 
        et souvent millénaires, mais de donner leur juste place à 
        des vins qui " tressaient quelques fleurons de plus à la couronne 
        vinicole de la Mère Patrie ".
 
 Toujours inconscients et pressés, les viticulteurs algériens 
        ne connaissaient pas de frein et continuaient de s'emballer et de planter 
        pour atteindre un plafond de 398 600 ha en 1938 et 21 500 000 hectolitres. 
        L'Algérie devenait le quatrième producteur mondial derrière 
        la France métropolitaine, l'Italie et l'Espagne.
 
 Les vins d'Algérie, depuis peu, étaient classés, 
        en fonction de leur région d'origine, en trois appellations simples: 
        les " vins de plaine " dans la Mitidja et le long de l'oued 
        Isser, dans les plaines littorales et les dépressions intérieures 
        de l'Oranie, et dans les basses vallées de la zone orientale; les 
        " vins de coteaux " regroupaient les vins du Sahel algérien 
        et de la côte de Cherchell à Tenès, ceux des collines 
        de Témouchent, de Rio-Salado et de Mostaganem, ceux de Beni-Melek 
        près de Philippeville; les " vins de montagne " se situaient 
        autour d'Aïn-Bessem et Bouira, à Souk-Ahras, à Mascara 
        et à Tlemcen.
 
 L'année suivante en 1939, la récolte se montait à 
        près de 18 millions d'hectolitres. Elle chutait à 14 millions 
        l'année suivante, puis à 10, remontait à 12 et enfin 
        dégringolait à 6 en 1943, son plus faible volume depuis 
        1921.
 
 La rupture des relations maritimes avec laFrance entraînait l'accumulation 
        de stocks invendus et la dégradation du vignoble qui, tante de 
        moyens financiers et en l'absence des viticulteurs, perdait en cinq ans 
        près de 4 millions d'hectares. Fort heureusement la situation m'améliorait 
        rapidement et, en 1946, les stocks de vin s'écoulaient à 
        la cadence de 1 200 000 hectolitres par mois. Repris en mains et reconstitué, 
        le vignoble passait de 325 794 ha cette même année 1946, 
        à 371 385 sept ans plus tard en 1953. En 1954, année cruciale 
        pour l'Algérie, Il représentait encore 371 000 ha pour une 
        récolte de 19 297 000 hectolitres, proche du record de 1934. Il 
        allait ensuite inéluctablement décroître jusqu'en 
        1962 et disparaître presque totalement au cours de la décennie 
        suivante.
 
 Le professeur Aldebert, de la chaire de viticulture de Maison-Carrée, 
        recommandait une politique très qualitative dans l'encépagement 
        des vignobles à reconstituer. Il conseillait fortement l'arrachage 
        de l'aramon, « pisse vin » du Midi français, encore 
        très répandu dans la Mitidja, et son remplacement par du 
        cinsault plus fin et moins productif. Pour les vinifications en rouge 
        il proposait des assemblages de carignan, de cinsault et d'un peu d'alicante 
        teinturier. En zones de montagne, il ajoutait l'autres cépages 
        qui faisaient la notoriété de certains crus français. 
        Le pinot de Bourgogne, le cabernet bordelais mais aussi le morrastel espagnol.
 
 Ces conseils répercutés par la presse spécialisée 
        étaient largement suivis par les viticulteurs puisque, selon les 
        statistiques de l'époque, le carignan, avec 
        140 000 ha, représentait 40 % de la superficie totale. Il était 
        suivi par l'alicante avec 75 000 ha et le cinsault avec 60 000 ha.
 
 La vigne, en matière d'occupation des sols, dominait en Oranie 
        avec 250 000 ha, contre 87 200 à Alger à 16 800 à 
        Constantine (Statistiques 1958.). 
        Ces deux derniers départements étaient caractérisés 
        par la grande et la moyenne propriété, alors que la petite 
        propriété était la plus fréquente dans le 
        département d'Oran. Les " vins de plaine " étaient 
        généralement destinés au coupage ou aux assemblages, 
        rarement à la consommation courante. Ils titraient naturellement 
        10° à 12° dans les plaines à fort rendement, 12,5° 
        à 13° en Oranie moins productive.
 
 Les " vins de coteaux " que l'on disait de longue conservation, 
        étaient situés sur les collines orientales autour de Stora, 
        Saint-Charles, El-Arrouch, Jemmapes, près de l'oued Marsa. On les 
        retrouvait dans le Sahel algérois à Fouka, Sidi-Ferruch, 
        et plus haut vers l'Atlas tellien à Damiette, mais encore dans 
        la zone littorale de Cherchell à Tenès et plus au sud du 
        côté du Zaccar. Dans le Dahra, des vins réputés 
        étaient produits à Rabelais, Paul-Robert, Renault, Fromentin. 
        On les rencontrait dans les sols siliceux de la rive droite du Chélif 
        à Cassaigne, Lapasset, Belle- Côte, Picard, et dans les terres 
        plus légères d'Aïn Tedeles, Aboukir, Rivoli. Les " 
        vins de coteaux " caractérisaient également la région 
        de Sidi-Bel-Abbès et les Monts du Tessalah à Guiard, Tassin, 
        Palissy. Le vignoble en coteaux de la région d'Aïn-Témouchent 
        entre mer et montagne représentait à lui seul le quart de 
        la production du département.
 
         
          | Cliquer 
              pour une image plus grande
  Quelques cépages de cuve cultivés 
              en Algérie
 |  Les " vins de montagne ", issus 
        de vendanges tardives, en octobre, titraient entre 13° et 14°. 
        Ceux de Miliana, 
        d'une grande finesse et d'une belle couleur brillante, étaient 
        classés en " Côtes du Zaccar ". L'appellation Médéa 
        " regroupait les villages de Ben Chicao, de Berrouaghia et de Loverdo, 
        avec des vins d'une belle coloration et d'une verdeur agréable. 
        On pouvait y ajouter les petits vignobles d'Aïn Bessem et de Bouira. 
        Les vins de Tlemcen 
        produits à Mansourah et à Bréa étaient d'une 
        grande finesse et pouvaient être bus sans vieillissement. Les vins 
        de Mascara avaient le taux d'extrait sec le plus élevé d'Algérie 
        et titraient facilement 14° en rouge et 15° en blanc de cépage 
        indigène faranah, ce qui ne les empêchait pas d'être 
        souples et bouquetés.
 En 1958, alors que s'amorçait son déclin, la surface viticole 
        représentait 10 % seulement de l'ensemble des terres cultivées. 
        En valeur, la viticulture atteignait 32,5 % des productions végétales 
        et distribuait 30 millions de salaires au profit de 40 % de la main-d'ceuvre 
        salariée de l'Algérie.
 
 Statiquement encore, sur 31 748 déclarants de récolte, 21 
        686 produisaient moins de 200 hectolitres, soit près de 68 % de 
        l'ensemble. 22 % d'entre eux se situaient entre 200 et 1 000 hectolitres. 
        Ils étaient 10 % entre 1 000 et 10000, et 0,3 % seulement récoltaient 
        davantage. Ils faisaient partie, les uns ou les autres, de ces gros colons 
        dont parlait Albert Camus, et qui bien entendu n'existaient ni en Bourgogne, 
        ni en Gironde, ni ailleurs dans le monde: " A lire une certaine 
        presse il semblerait que l'Algérie soit peuplée d'un million 
        de colons à cravache et à cigare, montés sur Cadillac 
        " ( La bonne conscience, l'Express 
        du 21 octobre 1955.).
 
 Ces gros colons avaient oublié que leurs ancêtres avaient 
        été un jour des transportés ", des " proscrits 
        ", des " gueux ", des " d éplacés ", 
        des " mendiants ", de la Monarchie à la République, 
        en passant par l'Empire. Ils pouvaient très justement se demander 
        par quel miracle ou par quel labeur acharné leurs ancêtres 
        étaient parvenus à se tirer d'affaire. Les échecs 
        n'étaient pas écrits sur les tombes dans les cimetières. 
        L'Algérie qu'ils connaissaient et dans laquelle ils vivaient n'existait 
        pas en 1830. Ils l'avaient créée. Les Arabes en avaient 
        profité. Ils étaient toujours là et avaient évolué. 
        En dépit de l'anathème jeté par l'islam sur le vin, 
        ils s'y étaient essayés: " La réussite est 
        étonnante: actuellement 10 000 familles musulmanes produisent 600 
        000 quintaux de raisin sur 17000 ha et vivent de cette culture " 
        (Viticulture musulmane et colonisation 
        dans la région de Mostaganem, A. Beau, 1957.).
 
 Ces familles musulmanes et les autres n'avaient pas été 
        volées ou dépossédées par les colons. En 1950, 
        630 732 propriétaires arabes possédaient 7 349 100 ha de 
        terrains pour seulement 22 037 colons et 2 726 000 ha.
 
 Comme l'a écrit l'un des nôtres, Paul Bellat: " On 
        a beaucoup parlé... des spoliations dont les occupants de l'Algérie 
        auraient été victimes ! Nous n'avons jamais spolié 
        que les marécages, la brousse, le désert et leurs hôtes, 
        les hyènes et les chacals " ( Un 
        vieux m'a dit, Paul Bellat, 1948.).
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