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        L'Algérie offre 
          aux voyageur de beaux arbres à admirer. Voici le ruisselant palmier, 
          épanoui et fécond, le dur figuier au tronc d'argent, le 
          citronnier et l'oranger dont les fruits d'or évoquent le jardin 
          des Hespérides. Voici encore le ficus qui laisse éclater 
          sous le pied du promeneur la pilule craquante de son fruit. 
          SI nous dépassons les bords méditerranéens et si 
          nous gagnons les hautes solitudes où l'aigle croisee l'aigle 
          et plane sur les troupeaux, nous verrons apparaître le cèdre 
          aux bleus étages, l'arbre sacré qui verdit dans la Bible 
          aux pentes du Cédron. mais qui, dans son agonie tragique sur 
          les sommets de l'Aurès, revêt une grandeur plus émouvante 
          encore. 
          Parmi tous ces arbres africains, le chêne-liège occupe 
          une place privilégiée. 
          Le liège est en effet une des substances végétales 
          les plus importantes au point de vue industriel et commercial. Et, c'est 
          en Algérie qu'il nous est le plus fréquemment offert par 
          cet arbre généreux dont les ombrages couvrent, avec ceux 
          du chêne yense et du chêne kermès, les vastes zones 
          montagneuses qui dominent l'horizon marin. 
          Les peuplements de chêne-liège de l'Algérie couvrent 
          une superficie approximative de 426,000 hectares. 
          La zone littorale qui porte le nom de Région du chêne-liège 
          s'étend sur une largeur maxima de 60 à 80 kilomètres, 
          On y remarque des variations qui permettent de la diviser eu régions 
          assez naturelles. Elles sont, en partant de l'ouest, la région 
          de Bougie. celles de Djidjelli et d'El-Milia. celles de Collo, de Philippeville-Jemmapes, 
          de Bône, de Guelma-Souk-Ahras et de La Calle. 
          A l'intérieur, la région de Constantine, qui ne comprend 
          que des forêts situées sur le sommet ou le versant sud 
          de la ligne de faîte séparative de la zone littorale et 
          du plateau constantinois : enfin, celle du Taya, à l'ouest de 
          Guelma sur la rive gauche de l'oued Zenati.
          Les forêts de chênes-lièges. restreintes à 
          la zone montagneuse du littoral, se sont trouvées en dehors de 
          la route suivie par les invasions venant de l'est et à l'abri 
          de la destruction. 
          A l'époque de la domination turque, les indigènes, ignorant 
          absolument la valeur et l'utilité du liège, ne l'employaient 
          qu'à la confection de ruches pour leurs abeilles, de tablettes 
          destinées au dépôt de leurs provisions à 
          l'intérieur de leurs habitations, et de toitures. Ces besoins 
          étaient restreints et la forêt n'avait pas d'intérêt 
          pour eux. 
          Dix ans après la conquête, dès que la pacification 
          eut amené la sécurité, le Gouvernement ordonna 
          la reconnaissance des massifs de chênes-lièges et essaya 
          de les exploiter ; en 1847, l'exploitation fut de 460 quintaux. 
          Le budget de la Colonie ne permettant pas d'affecter aux travaux de 
          mise en rapport, les sommes nécessaires. l'Administration résolut 
          de faire appel à l'industrie privée et de donner les forêts 
          en concession à des amodiataires qui les mettraient en état 
          de production., qui bénéficieraient des récoltes, 
          à la charge d'acquitter une redevance déterminée.. 
          
          Quant à la mise en rapport des forêts domaniales qui n'avaient 
          pas été concédées, elle commença 
          vers 1868. 
          Enfin, le 16 juillet 1891, le Ministre. de l'Agriculture décidait 
          que le mode d'exploitation directe serait désormais appliqué, 
          aux forêts de chênes-lièges que l'État possède 
          en Algérie. 
          Les résultats du système adopté' n'ont pas tardé 
          à se faire sentir et les récoltes, de liège de 
          reproduction par exploitation directe ont augmenté dans une proportion 
          considérable. 
          On s'en rendra compte aisément si l'on songe que les récoltes, 
          de 1.263 quintaux, vendus 34.032 francs en 1890, furent, portées, 
          en 1899 - après des étapes successives - à 45.000 
          quintaux, vendus 1.110.000 francs. 
          Depuis, la production du liège récolté eu régie 
          par l'Administration a suivi une progression remarquable : elle atteignait, 
          en 1914, le chiffre de de 117.000 quintaux, vendus 5.523.000 francs. 
          
          Les forêts de la conservation d'Alger sont à peu près 
          entièrement en rapport, ainsi que celles de la conservation d'Oran, 
          actuellement, exploitables. 
          Les forêts de la conservation de Constantine sont aussi presque 
          entièrement en production. L'exploitation d'un pied de chêne-liège 
          commence en général quand il atteint l'âge de trente 
          ans ; on enlève alors, opération de démasclage, 
          la couche de liège qui s'est, naturellement formée, et 
          qui est de qualité médiocre (liège mâle) 
          ; il se reforme bientôt, dans la profondeur de l'écorce, 
          une nouvelle assise génératrice de liège, qui, 
          au bout de dix à douze ans, a reconstitué une couche épaisse 
          d'un liège de meilleure qualité (liège femelle) 
          ; on l'enlève à son tour, et cette ablation provoque la 
          formation d'une troisième, assise, génératrice, 
          et ainsi de suite jusqu'à l'âge de cent cinquante ans environ. 
          
          La récolte du liège se fait an printemps ; sur l'arbre 
          que l'on veut dépouiller, on fait des incisions divisant ce liège 
          par plaques, puis, si besoin est, on chauffe légèrement, 
          avec un réchaud, l'écorce ainsi fendue de manière 
          à détacher facilement la plaque. Les plaques de liège 
          sans fente, sans nud, à grain serré, et de couleur 
          gris jaunâtre sont les plus recherchées. 
          Los documents que nous reproduisons et que nous avons pu obtenir du 
          Gouvernement général, grâce à l'obligeance 
          de M. Boutilly, le distingué et sympathique directeur des Forêts, 
          nous montrent les indigènes procédant à l'opération 
          curieuse du démasclage. Une fois l'arbre écorcé, 
          le liège est empilé sur des places de dépôt, 
          déterminées, soit au bord de routes carrossables, soit 
          dans les villages, soit, encore à proximité des maisons 
          forestières. La surveillance est ainsi plus facile, les dépenses 
          de garde supprimées ou diminuées et les acheteurs visitent 
          plus facilement et plus rapidement. 
          Le liège est, empilé assez serré, mais de façon 
          que les planches puissent être prises à la main pour être 
          examinées ; la croûte est en haut, sauf la couche de base, 
          dont les planches doivent être renversées et toucher le 
          sol par leur croûte afin d'éviter la teinte désagréable 
          qu'il leur communique lorsqu'il est en contact avec leur face intérieure.
          Les piles ont une hauteur maxima de deux mètres, puis sont formées 
          de deux rangées de planches se touchant par une de leurs extrémités 
          et présentant l'autre pour qu'elles puissent être facilement 
          examinées. 
          L'État et une partie des propriétaires particuliers vendent, 
          leur liège brut, c'est-à-dire tel qu'il se trouve lorsqu'il 
          a été récolté sur l'arbre, mais après 
          une période de quarante jours, pendant laquelle il a perdu 20 
          à 22 % de l'eau qu'il contenait. Le liège, est ensuite 
          préparé, et amené à l'état dans lequel 
          il est livré au commerce.
          La préparation comprend les opérations du bouillage, du 
          raclage, du classement et de la, mise en balles. 
          Les lièges sont ensuite classés suivant leurs qualités 
          ; le.classement varie un peu suivant les maisons et, selon les désirs 
          de leur clientèle, mais tous les procédés employés 
          dérivent d'un classement général basé sur 
          l'épaisseur, la qualité et la finesse des écorces.
          Le principal emploi du liège est la fabrication des bouchons 
          dont la consommation est considérable. 
          On se sert également, du liège, à cause de sa faible 
          capacité calorique, pour revêtir les tuyaux des machines 
          à vapeur qui relient le mécanisme moteur à la chaudière 
          ;; c'est, la meilleure matière qu'on ait trouvée pour 
          éviter la déperdition de la chaleur et la condensation 
          de la vapeur.
          Dans les pays froids, on en revêt les murs ; on en double les 
          toitures dans les pays chauds. Sa faible conductibilité du son 
          le fait employer pour amortir les bruits extérieurs, garnir les 
          cabines des téléphones, empêcher la déperdition 
          du son dans les instruments de musique.
          Dans la marine, on en fait, des bouées et ceintures de sauvetage, 
          des flotteurs pour filets, palangres et lignes de fond, des pare-battage 
          ou sacs en toile renfermant des copeaux de liège et placés 
          dans des filets dont on garnit le bordage des bâtiments pour amortir 
          i les chocs. 
          Carbonisé en vase clos, le liège donne une poudre très 
          fine, le noir d'Espagne, employée pour la peinture, l'imprimerie, 
          la fabrication des encres de Chine et lithographiques. 
          Le liège est aussi très employé pour la confection 
          du linoléum.
          Tels sont les intéressants détails que nous avons recueillis 
          dans l'ouvrage que M. Henri Lefebvre. inspecteur et ancien directeur 
          des Forêts au Gouvernement général, a publié, 
          il y a quelques années, sur les forêts de l'Algérie. 
          
          Le commerce du chêne-liège a pris, depuis, une extension 
          considérable et constitue aujourd'hui l'une des plus importantes 
          richesses forestières de i Afrique du Nord.