| POURQUOI S'ENGAGER DANS 
        LES HARKIS ? -----Aux "Barricades" 
        succéda le "Putsch" du 21 avril 1961.
 -----Dès le 19 avril au soir, je me 
        trouve dans l'appartement de la rue Michelet (celui des "Barricades"), 
        situé au-dessus du "Coq Hardi". Je passe sur les plans 
        échafaudés. Ma mission : trouver un véhicule et piloter 
        dans Alger, au petit matin du 21, des officiers afin de leur indiquer 
        certains points stratégiques : le Commissariat Central, l'immeuble 
        de la Radio/ Télévision rue Hoche, et caetera ...
 
 
 -----Dans la nuit du 20 au 21, je remonte 
        à pied vers le domicile de mes parents. Au niveau bas des marches 
        du Gouvernement Général, vers une heure du matin, un monstre 
        surgit, colle le canon de son arme sur mon ventre et dit à voix 
        basse : "Halt !". Merci, Messieurs JUNG et BOUDJADI, grâce 
        à qui j'ai appris quelques mots d'allemand. "Kein Problem 
        ! Ich bin ein Kamarad !". Et de lui expliquer, dans mon sabir teuton, 
        que je vais chercher une voiture pour conduire, dans Alger, trois officiers. 
        II me répond qu'il comprend, mais me demande de passer par la place. 
        Là bivouaquaient deux ou trois cents hommes. Peut-être plus.
 
 -----Le Deuxième Etranger Parachutiste, 
        venant d'Oranie, se préparait à investir Alger.
 
 -----"Yeux bleus" (le surnom de 
        mon père quand il était responsable de la brigade des moeurs 
        dans la Casbah) me donne les clés de son "Aronde". Comment 
        pouvait-il faire autrement ? Tandis qu'il entretenait mon Manurhin 7.65, 
        ma mère s'occupait des chargeurs de la MAT 49. Quand je vous disais 
        que mes parents étaient formidables. Que Dieu les ait en Sa Sainte 
        Grâce.
 
 -----J'ai accompli ma mission, apporté 
        mon concours aux "putschistes" (et même un peu plus, avec 
        "Jeune Nation"). Nous avons rêvé six jours. L'utopiste 
        CHALLE n'a pas su conduire son affaire. Le garde de deuxième classe 
        que je fus a droit d'exprimer ses critiques, à soixante ans sonnés. 
        Bien évidemment, je n'ai rien à reprocher à ZELLER 
        ou SALAN. Surtout pas à Edmond JOUHAUD.
 
 -----Le 1er REP est dissous.
 
 -----Ses hommes furent emmenés au 
        camp de Zéralda. Ils chantaient, ils hurlaient, en chemin, la chanson 
        de PIAF : "Non, rien de rien ! Non, je ne regrette rien !".
 
 -----Dans les jours qui suivirent, nombre 
        de légionnaires désertèrent. Je me trouvais dans 
        la ferme des CHEVIET qui jouxtait la forêt de Zéralda. II 
        me faut rendre hommage au père de Jacques. II les a nourris, hébergés, 
        leur a fourni des habits civils et de l'argent.
 Fin juin. Je loupe mon baccalauréat, ce qui ne surprendra personne. 
        Papa, qui était au "Central", m'informe que cela commence 
        à barder pour mon matricule. Nous prenons une sage décision 
        : il serait bon que j'aille respirer l'air ravigotant de la Bretagne.
 
 -----C'est là où j'ai rencontré 
        De GAULLE !!!
 
 -----II faisait la tournée des popotes 
        campagnardes, et eut la mauvaise idée de s'arrêter (trois 
        minutes prévues) dans le village de ma grand-mère paternelle 
        pour saluer le maire de la commune.
 
 -----Assis sur un talus avec mes copains bretons, nous voyons le 
        cortège de DS (une bonne quinzaine) arriver, puis stopper au beau 
        milieu du bourg. De la troisième voiture sort le De GAULLE. Au 
        moment où le maire de Pleslin s'approche, je hurle, à m'en 
        faire péter les poumons, un "Vive PÉTAIN !!!". 
        Alors là, toutes les portières des véhicules s'ouvrent. 
        Les accompagnateurs sortent leurs flingues ; les flashs des journalistes 
        crépitent ... Et De GAULLE repart vite fait. Bien sûr, vous 
        croyez à un tchalef : consultez les "Ouest-France" d'août 
        1961.
 
 -----En Bretagne, je n'avais point besoin 
        de me refaire une virginité puisque puceau (mais la maréchaussée 
        du canton recherchait le crieur). Donc je regagne Alger. Chez mes parents, 
        une lettre m'attend. Sursis pour études résilié et 
        ordre de marche pour un obscur régiment d'Infanterie à Strasbourg. 
        Le bon garçon que j'étais se réinscrit à Bugeaud 
        pour redoubler Math-Elem'. Mais, rapidement, disparais du paysage algérois.
 
 -----Grâce à une certaine filière, 
        je me suis retrouvé à Vialar 
        ( aux confins des sud-algérois et sud-oranais), engagé comme 
        garde de deuxième classe dans le Groupe 
        Mobile de Sécurité (GMS) 87. Marrant car les 
        GMS, ex-GMPR (Groupe Mobile de Protection Rurale), dépendaient 
        du Ministère de l'Intérieur : j'étais devenu un "collègue" 
        de mon père-flic (son rêve : il voulait que je devienne officier 
        de police, mais j'avais pris les choses par le gros bout de la lorgnette).
 
 -----Je me présente au Commandant 
        Maurice BONNEMAYRE. Entretien bref mais courtois. En sortant de son bureau, 
        je tombe sur un homme qui arborait une grande croix. II était aumônier. 
        À ma demande, il accepte de me confesser et de s'entretenir avec 
        moi. Je lui ai dit mon angoisse d'avoir à tuer un homme. Thématique 
        de sa réponse : "Nous vivons une situation exceptionnelle, 
        une situation de guerre. Si tu hésites à tirer, dis-toi 
        que le fel' d'en face n'aura aucun scrupule à t'abattre. Le Seigneur 
        te comprend". II m'a donné son absolution et sa bénédiction. 
        En douce, j'ai été piquer de la mie de pain au mess (que 
        j'avais repéré), et j'ai communié, vaille que vaille.
 
 -----Le soir de mon arrivée, je suis 
        de garde à l'une des quatre tourelles du fortin, de minuit à 
        trois heures. Au mess, mes nouveaux camarades avaient décidé 
        de célébrer ma venue. À la boisson (parce qu'il n'y 
        avait rien à manger, paraît-il) : bière et Martini 
        rouge. J'ai pris une biture ! À partir de minuit, heure de mon 
        tour de garde, j'ai allumé le puissant projecteur, balayé 
        le djebel ... et vomi. Cette séquence a duré jusqu'à 
        la relève. Bienvenue au Club !
 
 -----Ce GMS 87 possédait une caractéristique 
        : c'était une troupe à cheval. La Police Montée des 
        Portes du Désert, en quelque sorte. Vous prenez le Canada ; vous 
        enlevez neige et stetsons ; vous remplacez les deux par des cailloux et 
        des passe-montagnes. Et vous aurez tout pigé.
 
 -----Sauf que les bourrins arabes sont cinglés, 
        à la différence des chevaux canadiens. Ils n'aboient pas 
        mais ils ruent. C'est ainsi que je me suis retrouvé, en février 
        1962, dans ce qui restait de l'hôpital de Teniet-el-Haad. Mon cheval 
        avait fait mine de dépasser celui qui le précédait. 
        Quelle injure ! En une fraction de seconde, j'ai vu l'oeil jaune et torve 
        du bourrin viser mon tibia. Trois jours à Teniet car il restait 
        trois appelés du contingent, trois ampoules de morphine, des lattes 
        et une bande Velpeau. De retour au fortin, durant trois semaines, un géant 
        (qui ne parlait pas un mot de français) m'a porté sur son 
        dos : lit, toilettes, mess, lit, toilettes, mess, dodo. II me souvient 
        de l'une de ses particularités : il décapsulait les bouteilles 
        de bière avec ses dents d'une exceptionnelle blancheur. Je n'ai 
        jamais su son nom, ni, par la suite, son destin.
 
 -----Si j'ai choisi les Harkis, dont je n'avais 
        qu'entendu parler puisque résidant à Alger, c'était 
        pour être aux côtés de ces Français musulmans 
        qui combattaient pour leur "Idée" de la France. D'accord, 
        voilà qui participait d'un certain mysticisme ou romantisme. Mais 
        je n'ai pas été le seul.
 
 -----La démarche de Jean et Bernard 
        RUBAT du MÉRAC (que je n'ai pas connus au GMS 87) procédait-elle 
        d'une approche différente ? Surtout avec leur patronyme à 
        charnière ?
 
 -----Peu avant la mi-juin, le Commandant 
        BONNEMAYRE ordonne le repli du Groupe sur Arzew. Plus de la moitié 
        des Harkis décide de rester sur place. Leur sort horrible est rapporté 
        par Bernard MOINET dans un de ses livres. II ne faut jamais croire aux 
        promesses, surtout lorsque les accords sont scellés à l'eau 
        minérale. Les autres sont répartis dans tous les véhicules 
        militaires et civils disponibles. Départ par convois de cinq à 
        six engins, espacés d'un quart d'heure. Embuscades ... Nous serons 
        moins de trente lors de notre jonction avec le GMS 80 du Capitaine René 
        MARCHADIER. Ce groupe, lui-même, ne comptait plus qu'une vingtaine 
        d'hommes.
 
 -----L'agonie oranaise a commencé 
        à Vialar. Tandis que je rédige ces lignes, je prends conscience 
        que je narre la chronique de ma propre agonie : elle a également 
        débuté là-bas et me semble fort longue.
 
 -----MARCHADIER était efficacement 
        secondé par le Lieutenant Jaki MERCIER qui m'avait pris en estime.
 
 -----Fin juin, nous apprenons que le Groupe 
        reconstitué doit faire mouvement vers Bou-Sfer. J'allais, enfin, 
        voir Oran, cette rivale d'Alger !
 
 -----Sur le boulevard maritime, grosse déception.
 
 -----À droite, les cuves de carburants 
        brûlaient.
 
 -----À gauche, les Gendarmes Mobiles 
        et mes amis de l'OAS jouaient à la guerre, à l'aide de 12.7 
        et de lance-roquettes.
 
 -----Devant, un barrage de contrôle 
        de l'ALN. Bizarrement déguisé en pseudo-para de BIGEARD, 
        le chef réclame : "Vos papiers !". Réponse de 
        Jaki MERCIER qui pilotait la jeep: "Merde ! La guerre est finie". 
        J'étais à son côté, avec mon PM approvisionné, 
        face à un pieu-pieu fraîchement émoulu des troupes 
        de réserve de l'ALN au Maroc ; il avait un PM, lui aussi, mais 
        à chargeur courbe. Bref ! Ils nous laissent passer et nous arrivons 
        dans un Bou-Sfer déserté.
 
 -----J'y ai connu cinq jours de détente, 
        deux jours d'horreur, deux autres jours dont je n'ai pas gardé 
        le moindre souvenir, deux heures d'angoisse avec une conclusion heureuse. 
        Le dernier jour, 11 juillet 1962, j'ai tourné délibérément 
        le dos au passé. Du moins le croyais-je ..
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