
          
          Les étudiants ont enfin leur maison. 
          
        Il y a quelques années, 
          j'avais eu l'occasion de m'entretenir de cette fameuse question avec 
          le sympathique Bartibas, alors président de l'A.G. et je me souviens 
          que celui-ci m'avait déclaré d'un ton presque mélancolique 
          : l'aurons-nous jamais notre maison ?
          
          Ces paroles étaient d'autant plus émouvantes qu'on entendait, 
          tout près, dans, un local voisin, le " messieurs, faites 
          vos jeux " d'un croupier à la solde de certain cercle où 
          l'humanité décadente venait journellement déverser 
          sur le tapis vert le contenu de ses portefeuilles engraissés 
          de billets et de chèques.
          
          Ce qui semblait une éventualité irréalisable immédiatement 
          est devenu une réalité grâce aux concours anonymes 
          et surtout, grâce à l'appui, combien précieux, des, 
          Pouvoirs publics.
          
          Ainsi donc, après tant d'années d'attente et d'espoir, 
          les étudiants ont enfin leur maison, et quelle maison ! Imaginez-vous 
          un petit palais ouvert sur l'une de nos plus belles artères algéroises, 
          peut-être la plus belle : le boulevard Baudin. Cinq étages 
          où tout a été prévu pour assurer au travailleur 
          exilé un confort largement suffisant, depuis une bibliothèque 
          fort bien garnie, des salles de lectures amplement approvisionnées, 
          un théâtre, jusqu'à l'inévitable bar américain, 
          le restaurant et même une immense salle de culture physique où 
          nos universitaires, dont on connaît la valeur athlétique 
          et les succès sportifs, pourront, tout à leur aise, s'entraîner 
          et préparer les compétitions futures. Les bureaux de l'A.G. 
          et ceux, non moins bien compris, de notre jeune et si actif confrère 
          Alger-Etudiant, occupent également une place très importante 
          dans ce building élégant. Je dirai même qu'ils relèvent 
          d'un souci d'anticipation assez original puisqu'on y découvre 
          des postes de T.S.F. susceptibles d'apporter rapidement les nouvelles 
          fraîches.
          
          Une telle organisation méritait une consécration officielle. 
          Elle l'a reçue vendredi dernier et M. le Gouverneur Général 
          Carde, l'un des artisans de cette grande et belle uvre, avait 
          tenu par sa présence, à manifester une fois de plus à 
          la jeunesse universitaire, tout l'intérêt qu'il lui porte. 
          M. le recteur Hardy et bon nombre de personnalités marquantes 
          s'étaient joints au chef de la Colonie et ce fut là l'occasion 
          d'une manifestation dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle fut 
          parfaitement réussie.
          A l'heure des toasts, M. Richier, l'actuel président de l'A.G. 
          remercia M. Carde de sa collaboration précieuse et sincère.
          - " Cette maison, dans laquelle nous vous accueillons, dit-il notamment, 
          je crois que les étudiants d'Alger, y ont toujours pensé, 
          et c'est pourquoi nous avons trouvé auprès de nos anciens, 
          devenus hauts fonctionnaires, délégués financiers, 
          conseillers généraux, cette aide précieuse qui 
          en a permis l'édification. Ils ont voulu aider leurs cadets à 
          réaliser ce qu'ils n'avaient pu faire au moment de leurs vingt 
          ans. Ils se sont employés à favoriser ceux qui reprenaient 
          leur vieux rêve, et voilà comment le rêve a cessé 
          d'être un rêve, comment s'est élevée cette 
          maison qui fait de tous les étudiants passés et à 
          venir des propriétaires indivis et c'est le pire, des bourgeois 
          par voie de conséquence directe. "
          
          M. Hardy lui succéda et c'est avec son aisance coutumière, 
          sa finesse toute littéraire, qu'il prononça son allocution. 
          
          - " La voilà donc, cette Maison des Étudiants d'Alger. 
          Si quelque écolier des anciens temps, si Villon revenait, il 
          n'en croirait pas ses yeux, et sans doute s'imaginerait-il transporté 
          au Pays des Merveilles. Qui sait d'ailleurs si, parmi les hommes qui 
          nous entourent, il ne se trouve personne pour murmurer " de mon 
          temps " et pour estimer que cette belle demeure, ample, lumineuse, 
          coquette au meilleur goût de l'époque, pêche par 
          excès de luxe ?
          
          Prévenons le reproche. Notons avant tout que cette maison est 
          neuve et que sa fraîcheur si l'on y prend garde, est son principal 
          ornement : le temps, se chargera bien assez tôt d'y mettre sa 
          patine et ses griffes, - à supposer même - mais quelle 
          diabolique pensée me vient là ! - à supposer dis-je, 
          que le temps ne trouve pas d'actifs auxiliaires chez les occupants. 
          "
          Ce fut, enfin, au tour de M. Carde, de louer les mérites du " 
          home " estudiantin.
          - " Plus favorisée que les autres colonies françaises, 
          dit-il, en terminant, l'Algérie possède son Université. 
          C'est près d'elle, à Alger, que votre initiative est née, 
          qu'elle a pu aboutir, grâce - et j'en suis particulièrement 
          heureux - à l'aide du budget colonial. 
          Sous peine de perdre la direction spirituelle d'un monde de plus en 
          plus instruit, a-t-on dit, notre pays devra restaurer le culte de l'intelligence. 
          Je me félicite, Messieurs, de constater, une fois, de plus, qu'en 
          Algérie, où voisinent deux élites également 
          avides de s'instruire, on a su réaliser cet accord de la pensée 
          et de l'action. "
          
          La fête eut son épilogue, le soir, dans les salons du Casino 
          municipal où, jusqu'aux premières lueurs de l'aube, les 
          " terpsichoriens " s'en donnèrent à cur 
          joie dans, une atmosphère de camaraderie spontanée et 
          d'heureux optimisme.