| - 
         
          | ------Alger, 
              dans toute sa splendeur, au moment où Yacef Saadi, dans toute 
              sa fureur d'avoir perdu la première manche de la " bataille 
              ", décide de jouer la carte terroriste à outrance. 
              Alors recommence, dans la Ville blanche, le temps du sang et de 
              la violence. Programme de Yacef : faire peur à tout prix 
              Objectifs arrêts de tramways, pistes de danse. Jour J :3 juin 
              1957. |  -----Au 
        31 mars 1957, quand s'achève la " bataille d'Alger ", 
        il ne reste pas grand-chose de l'organisation politico-militaire du F.L.N..-------La mort de Ben M'Hidi et la fuite 
        des autres membres du C.C.E. ont fait de Yacef Saadi le patron de la zone 
        autonome d'Alger.
 -------Le premier problème qui se 
        pose à Yacef Saadi est d'établir des liaisons avec ses supérieurs, 
        qui se trouvent quelque part entre la Kabylie et la Tunisie. Dans
 la Casbah, qu'il n'a jamais quittée, la sécurité 
        est bien plus précaire qu'avant. La ville arabe a été 
        découpée en quartiers, îlots, blocs d'immeubles par 
        le D. P. U.
 -------En dépit de ces difficultés, 
        l'ex-boulanger, à qui la ruse n'a jamais manqué, parvient 
        à rassembler autour de lui une sorte d'état-major restreint. 
        Chaque membre se voit confier un rôle bien déterminé. 
        Ali la Pointe, dont la photographie a été souvent à 
        la " une " des journaux algérois, reste chargé 
        des groupes de choc. Il sera assisté de Hassiba Bent Bouali. La 
        jeune intellectuelle suivra l'ex-souteneur jusque dans la mort. Si Mourad, 
        de son vrai nom Debih Chérif, dépanneur d'appareils électroménagers 
        dans le " civil ", s'occupera à titre provisoire de l'organisation 
        politico-administrative. Plus tard, il deviendra l'un des responsables 
        du réseau " bombes ". Pour l'heure, ce réseau 
        Reda, qui constituera une petite équipe de neuf hommes inconnus 
        de Yacef Saadi.
 
 
         
          | -------Les 
            tueurs de Yacef Saadi agissent, parfaitement déguisés 
            en employés du gaz et de l'électricité |  
         
          | -------Dépanneurs, 
            monteurs du gaz et de l'électricité, en Algérie, 
            étaient souvent des musulmans. Rien de plus facile, pour le 
            F.LN., que de se procurer leurs bleus de travail et leurs casquettes 
            et d'en habiller le commando qui posera, sans attirer l'attention, 
            ses bombes dans des socles de lampadaire. |  
         
          | -------Les 
            clefs? Facile aussi. Et au jour J, dans la matinée, le commando, 
            travesti en équipe de paisibles agents de l'E.G.A., opère 
            tranquillement en plein soleil, sous il d'une foule confiante. Les bombes sont réglées pour éclater 
            à l'heure de pointe,
 entre 18 h 25 et 18 h 30 : 8 morts.
 |   -------Ce dernier prend 
        Kamel (Hadji Othmane) pour adjoint militaire et garde près de lui, 
        en qualité de secrétaire, Djamila Bouhired et Zohra Drif. 
        Son neveu Petit-Omar, un garçon de douze ans, assurera les liaisons. 
        Dans les semaines qui suivent, le chef de la Z.A.A. récupère 
        quelques rescapés : Hafaf Arezki, dit Houd, le responsable des 
        liaisons et renseignements; Skander Noureddine et Benhamida Abderrahmane, 
        deux anciens des groupes armés; Alilou, ancien proxénète, 
        comme Ali la Pointe, qui servira plus tard dans les " bleus de chauffe 
        " du capitaine Léger, et enfin Ghandriche Hassan, un copain 
        de football de 1943.
 -------Vers la fin du mois d'avril, Yacef 
        Saadi a rétabli les liaisons avec le C.C.E. Sa nouvelle organisation 
        terroriste est prête à entrer en action. Elle est plus souple, 
        plus légère et mieux cloisonnée que la précédente. 
        Son chef a su tirer les leçons de la première " bataille 
        d'Alger Il s'agit maintenant de lancer une nouvelle vague 
        d'attentats pour montrer aux Français qu'à Alger le F.L.N. 
        est loin d'avoir désarmé malgré les parachutistes.
 
 -------Reprendre le combat en frappant la 
        population civile, c'est aussi une nécessité politique pour 
        contrebalancer l'action psychologique du 5è bureau au sein de la 
        masse musulmane. Et puis il y a également, chez Yacef Saadi, l'impérieux 
        besoin de prendre une revanche personnelle sur Massu. Un besoin que partagent 
        tous ceux qui forment autour de lui le dernier carré et que Taleb 
        Abderrahmane, le chimiste de la première " bataille d'Alger 
        ", réfugié en wilaya 4 (Algérois), a exprimé 
        en ces termes dans une lettre qu'il a fait parvenir à Yacef
 -------" Je 
        n'ai qu'un espoir, c'est qu'un jour j'aurai la possibilité de jouer 
        la seconde manche avec Massu. Il ne perd rien pour attendre, le salaud 
        ! "
 
 -------Cette seconde manche ne s'engagera 
        véritablement qu'au début du mois de juillet. En attendant, 
        deux événements, très différents l'un de l'autre, 
        vont sérieusement préoccuper Robert Lacoste. Au mois d'avril, 
        la tension, qui était tombée avec la quasi-disparition des 
        attentats terroristes, remonte brusquement dans les milieux européens. 
        On annonce en effet pour le 23 avril l'arrivée à Alger d'une 
        commission privée du parti de Mendès-France pour enquêter 
        sur les tortures...
 
 -------Aussitôt, c'est un vent de colère 
        qui souffle dans toutes les associations d'anciens combattants, d'étudiants, 
        les groupements " Algérie française
 
 -------Devant la menace 
        des troubles que provoquerait l'arrivée des " enquêteurs 
        " de la rue de Valois, le ministre résidant estime plus sage 
        de leur interdire le voyage d'Alger.
 D'étranges dépanneurs  -------L'autre événement 
        se situe au début du mois de mai. Il sera plus ou moins étouffé 
        par le Gouvernement général. Tout commence par un attentat. 
        Chemin Polignac, dans le quartier du Ruisseau, vers minuit, deux terroristes 
        abattent à coups de revolver deux parachutistes qui regagnent leur 
        cantonnement après une soirée au cinéma. Sitôt 
        informés, leurs camarades décident une action punitive pour 
        les venger. Guidés par un membre du D.P.U. qui croit savoir qu'un 
        certain bain maure abrite des terroristes, les paras enfoncent la porte 
        de l'établissement, qui se transforme la nuit en asile pour les 
        " clochards " du coin. Une centaine de pauvres bougres qui dormaient 
        sur des nattes, à même le sol, sont réveillés 
        en sursaut et alignés contre le mur. Les mitraillettes claquent... 
        Les auteurs du double attentat étaient-ils dans le lot des victimes? 
        On ne le saura jamais. Cette nuit-là, après des semaines 
        d'accalmie, le sang d'innocents tache de nouveau le pavé d'Alger. 
        
 -------Le sang de victimes civiles va encore 
        couler le 3 juin. Une date qui marque la reprise du terrorisme à 
        Alger. C'est un lundi. Il fait très chaud et la ville s'est mise 
        en tenue d'été : robes légères pour les femmes 
        et les jeunes filles, pantalons et chemisettes de toile pour les hommes. 
        Le soleil, le ciel bleu, la mer lisse comme une patinoire chantent le 
        retour des beaux jours. À Bab-el-Oued et sur les petites terrasses 
        blanches de la Casbah, le linge qui sèche à l'air libre 
        forme des guirlandes multicolores. Comme toutes les villes typiquement 
        méditerranéennes, Alger vit dans la rue. Le dimanche, sur 
        les plages des environs, on s'efforce d'oublier la dernière tragédie 
        de l'hiver les bombes du 10 février au stade d'El-Biar et au stade 
        municipal.
 
 -------Vers 16 heures, ce 3 juin 1957, quatre 
        hommes - des musulmans - vêtus de bleus de travail et coiffés 
        de la casquette de drap bleu marine de l'E.G.A. (Électricité 
        et Gaz d'Algérie) s'affairent au pied d'un lampadaire, rue Alfred-Lelluch, 
        près du plateau des Glières, au bas de la grande poste. 
        L'un d'eux, Merzaoubi Ahmed, ouvre avec une petite clé le regard 
        aménagé dans le socle en fonte du lampadaire. Un de ses 
        compagnons fait mine de resserrer des écrous de fixation. Il cède 
        la place à un troisième homme qui dépose discrètement 
        un paquet qu'il a tiré de la sacoche en cuir qu'il porte en bandoulière 
        comme tous les dépanneurs de l'E.G.A.
 Ces hommes ne sont pas des ouvriers d'Électricité et Gaz 
        d'Algérie. Ils appartiennent au réseau " bombes " 
        de Habib Reda. C'est lui qui a eu l'idée machiavélique de 
        placer des engins explosifs dans le pied des lampadaires, juste aux arrêts 
        des trolleybus. Un militant du Front, qui travaille réellement 
        à l'E.G.A., a fourni la clé et les uniformes.
 À l'heure de 
        sortie des bureaux  -------" Ça 
        va faire un feu d'artifice comme on n'en a encore jamais vu ! " s'est 
        exclamé Ali la Pointe quand Habib Reda lui a annoncé l'opération 
        " lampadaires ".-------Leur " travail " terminé 
        rue Alfred-Lelluch, Merzaoubi et ses trois complices se rendent tranquillement 
        à pied au carrefour de l'Agha par le boulevard Baudin, passant 
        ainsi devant le commissariat central d'Alger. Mais comment soupçonner 
        quatre braves employés de l'E.G.A.? Au carrefour de l'Agha, les 
        quatre terroristes choisissent le lampadaire le plus proche de l'arrêt 
        du trolleybus pour placer le deuxième engin. Le troisième 
        et dernier est mis dans un autre lampadaire, à la station du Moulin, 
        juste au bas de la rue Hoche. Les trois bombes ont été réglées 
        par Berazouane Saïd, un nouveau. Elles doivent exploser entre 18 
        h 25 et 18 h 30, à la sortie des bureaux, à l'heure où, 
        aux arrêts d'autobus et de trolleybus, on fait queue pour rentrer 
        chez soi.
 -------La première explosion a lieu 
        rue Alfred-Lelluch. En quelques secondes, le trottoir est jonché 
        de corps criblés d'éclats de fonte du lampadaire piégé. 
        De partout on se précipite pour porter secours aux blessés 
        tandis que les sirènes des ambulances mugissent lugubrement, rappelant 
        les sombres jours de janvier et de février. Une vieille Mauresque, 
        atteinte aux deux jambes, incapable de marcher, 
        est portée vers une pharmacie toute proche par un pompier et un 
        civil musulman.
 -------C'est une scène identique qui 
        se déroule, quelques minutes plus tard, à l'Agha, près 
        du café Métropole, entre une bijouterie et un grand magasin 
        d'articles de sports. Là aussi, la bombe terroriste a fauché 
        indifféremment Européens et musulmans qui attendaient le 
        trolleybus. Les victimes sont pour la plupart des gens de condition modeste, 
        petits employés, ouvriers, dockers, ménagères. Des 
        enfants aussi, qui sortaient d'une école.
 -------Rue Hoche, c'est un véritable 
        miracle qui a voulu que le troisième engin n'ait fait que deux 
        blessés. En effet, il a éclaté quelques secondes 
        après le départ du trolleybus. Les deux victimes sont deux 
        jeunes gens que le véhicule, complet, n'a pas pu charger.
 -------Ces trois attentats feront huit morts, 
        dont trois enfants de six, dix et quatorze ans, et quatre-vingt-douze 
        blessés, dont beaucoup, comme les précédentes victimes 
        des bombes du F.L.N., devront être amputés qui -d'un bras, 
        qui d'une jambe.
 -------Le soir même, la ville a changé 
        de visage. Elle a pris son aspect des mauvais jours, des jours de colère. 
        -------En quelques heures, l'air s'est chargé 
        de dynamite. Tandis qu'à l'hôpital de Mustapha les chirurgiens 
        opèrent sans discontinuer et que, derrière les grilles, 
        les familles des blessés attendent anxieusement des nouvelles, 
        les Algérois serrent les poings de rage impuissante devant ce nouveau 
        massacre. Dans les quartiers musulmans, ce n'est pas la rage, mais la 
        peur. La peur des représailles aveugles qui ajouteront la violence 
        à la violence, les deuils aux deuils.
 Pourquoi pas le Casino?  -------Le mercredi 5 juin, 
        les pieds-noirs enterrent les morts des lampadaires sans se douter qu'une 
        autre tragédie se prépare, aussi atroce, aussi meurtrière. 
        En effet, le C.C.E. presse Yacef Saadi d'intensifier la reprise du terrorisme 
        urbain. Il lui enjoint en même temps de préparer un dossier 
        sur les tortures et d'ordonner aux musulmans de ne plus fumer, de ne plus 
        consommer de l'alcool, de faire la grève de l'impôt. Dans 
        l'esprit des " grands patrons " de la rébellion, il s'agit 
        d'obtenir au plus vite cette cassure entre les deux communautés.-------Comme il est hors de question de répéter 
        l'opération " lampadaires ", il faut trouver un nouvel 
        objectif où l'introduction d'un " truc " ne présentera 
        pas de difficulté majeure. D'autre part, il convient de choisir 
        un endroit fréquenté uniquement par des Européens, 
        car, en frappant des musulmans, les bombes des lampadaires n'ont pas eu 
        sur la masse l'impact souhaité. La propagande du F.L.N. a eu du 
        mal à expliquer cette
 "erreur de tir ".
 -------C'est alors que Kamel propose à 
        Yacef Saadi le Casino de la Corniche. Il représente la cible idéale 
        puisque les musulmans qui y sont admis se comptent sur les doigts de la 
        main. Le Casino de la Corniche est connu de tous les Algérois au 
        même titre que le Santa-Lucia, son rival. Il est situé à 
        une dizaine de kilomètres à l'ouest d'Alger, près 
        de Pointe-Pescade. C'est un imposant bâtiment bâti sur un 
        éperon rocheux, face à la mer, un peu en retrait de la route 
        littorale. On y accède par une longue allée de gravier soigneusement 
        entretenue. En semaine, il est surtout fréquenté par les 
        joueurs.
 -------Le samedi et le dimanche, il attire 
        la foule des danseurs. A son programme, les vedettes de la chanson en 
        tournée en Algérie, des fantaisistes, 
        des attractions de classe internationale. Dario Moréno a beaucoup 
        de succès à chacun de ses passages. Le fameux travesti Coccinelle 
        y vient souvent avec la troupe du Carrousel de Paris.
 Le jour de la Pentecôte  -------À l'intérieur, 
        la décoration est simple et de bon goût. La salle du night 
        club est peinte en bleu sombre avec des étoiles qui piquent les 
        murs de taches plus claires. Autour de la piste de danse, qui sert également 
        de scène, de' petites tables rondes. Les baies vitrées ouvrent 
        sur la mer. Dans ce cadre de boîte de nuit hollywoodienne, évolue 
        le patron, Henri Azzopardi, petit homme brun et jovial qui a hérité 
        de ses origines maltaises le sens des affaires. Henri Azzopardi - Riri 
        tout court pour une multitude d'amis appartenant à tous les milieux 
        - est également propriétaire de la brasserie le Novelty 
        et d'un autre dancing, le Fantasio, deux établissements proches 
        de l'hôtel Aletti.
 
 
         
          | Un employé 
            du Casino, Iméklaf, en possession de la bombe à 9 heures, 
            réclame la clef de la salle de danse, alors déserte, 
            pose l'engin sous l'orchestre, rend la clef à 13 h 30 et file 
            au maquis. |  -------Le dimanche 9 juin, 
        jour de Pentecôte, aucun membre du personnel du Casino de la Corniche 
        ne remarque que l'un des plongeurs, un musulman d'une quinzaine d'années, 
        vient prendre son service avec un paquet sous le bras. Ce paquet, en apparence 
        parfaitement inoffensif, est une redoutable bombe de deux kilos que lui 
        a fait remettre Yacef Saadi. L'employé a accepté de la dissimuler 
        sous l'estrade de l'orchestre à la condition d'être pris 
        en charge par le F.L.N. avant qu'elle explose et d'être acheminé 
        ensuite vers le maquis.
 -------À partir de 16 heures, la salle du Casino commence 
        à se remplir de couples. Il y a beaucoup de garçons et de 
        jeunes filles qui ont préféré la danse au traditionnel 
        pique-nique de Pentecôte dans la forêt de Sidi-Ferruch ou 
        sur les plages. On échange des signes amicaux avec les musiciens 
        de Lucky Starway. Ce sont tous des Algérois. Certains sont même 
        des enfants de Bab-el-Oued. A commencer par Lucien Serror, colosse de 
        trente-cinq ans dont le visage rond et perpétuellement souriant 
        est barré d'une fine moustache noire. Quand il a monté son 
        orchestre avec des copains, il lui a donné le nom de Lucky Starway. 
        Pour un ensemble de jazz, ça fait plus sérieux que Lucien 
        Serror. En tout cas, c'est plus dans la note.
 
 -------Il est 18 h 30. On danse au coude 
        à coude et joue contre joue sur la piste cirée du Casino 
        de la Corniche. Sur l'estrade, Lucky Starway dirige ses musiciens. Les 
        garçons en veste blanche se faufilent à travers les tables 
        pour apporter les consommations. Le soleil est encore haut dans le ciel 
        et embrase-la mer. C'est un dimanche comme les autres, un dimanche de 
        détente pour toute une jeunesse qui a provisoirement chassé 
        de son esprit la guerre et le terrorisme., Et pourtant !...
 Comme s'ils venaient 
        d'échapper à l'enfer  -------Soudain, en quelques 
        secondes, c'est le drame. Une terrible explosion secoue tout l'établissement. 
        Un souffle d'une puissance inouïe balaie la salle, qui s'emplit instantanément 
        de fumée et de poussière. À travers ce nuage on distingue 
        des fantômes qui titubent avant de s'abattre dans un invraisemblable 
        désordre. -------Sous l'effet de la 
        bombe, l'estrade a été littéralement pulvérisée, 
        projetant musiciens et instruments dans tous les sens. Rien n'a résisté 
        à la déflagration. Des dizaines de corps sont allongés 
        parmi les débris de tables, de chaises, de verre pilé. Le 
        piano, éventré, tient en équilibre sur un pied. Ses 
        touches sont gluantes de sang. Le premier moment d'affolement passé, 
        les rescapés se portent au secours des blessés. Ils marchent 
        sur des jambes, des bras, des mains arrachés.-------Le long du front de mer, des territoriaux 
        patrouillaient. Au bruit de l'explosion, ils se sont précipités. 
        Dans l'allée qui mène au Casino, ils ont croisé des 
        hommes et des femmes qui fuyaient comme s'ils venaient de s'échapper 
        de l'enfer. Les vêtements déchirés, les yeux remplis 
        d'épouvante, ils fonçaient droit devant eux.
 -------Le général Massu prenait 
        le frais sur la terrasse de sa villa des Bains-Romains avec son chef d'état-major, 
        le colonel Brothier. L'explosion les a fait sursauter. Peu après, 
        un coup de fil leur a confirmé l'attentat. Le général 
        Massu a aussitôt foncé au volant de sa 403 jaune sable avec 
        Brothier. Les ambulances arrivaient pour évacuer les blessés 
        après avoir eu du mal à se frayer un passage sur la route 
        littorale encombrée des voitures particulières qui ramenaient 
        à Alger les pique-niqueurs. -------Bon 
        nombre de ces voitures ont chargé des victimes 
        pour gagner du temps car il n'y a pas assez d'ambulances malgré 
        les renforts du service de santé de l'armée. En klaxonnant 
        à fond pour s'ouvrir la route, les conducteurs alertent toute la 
        ville. Dans le centre, deux commissaires de police fraîchement débarqués 
        de métropole se précipitent à la police judiciaire 
        pour se mettre à la disposition de leur nouveau patron.
 -------" Une 
        bombe a explosé au Casino de la Corniche ", leur 
        annonce le commissaire principal Demarchi, sous-directeur de la P.J., 
        qui s'apprête à se rendre sur les lieux.
 Deux commissaires 
        l'échappent belle...  -------Les deux commissaires 
        se regardent. La veille, ils avaient fait la connaissance de Riri Azzopardi. 
        Très gentiment, le propriétaire du Casino les avait invités 
        pour le lendemain. Sur une carte de visite, il avait griffonné 
        quelques mots pour recommander au maître d'hôtel de placer 
        les deux policiers tout près de la piste de danse, à côté 
        de l'orchestre, et de leur offrir le champagne.-------N'ayant pas de voiture et rechignant 
        à prendre l'autocar, les deux fonctionnaires ne sont pas allés 
        au Casino...
 -------La nuit est tombée sur Alger 
        lorsque le bilan officiel de l'attentat est enfin connu : 9 morts, dont 
        le malheureux Lucien Serror. Le chef d'orchestre, qui se trouvait juste 
        au-dessus de la bombe, a été déchiqueté. 85 
        blessés, 46 hommes et 39 femmes, dont 10 sont dans un état 
        désespéré. Ce soir-là, la ville, déserte 
        et lugubre, garde le deuil qu'elle a pris, moins d'une semaine plus tôt, 
        pour les victimes des lampadaires, après avoir cru à la 
        fin de son calvaire
 
         
          | -------On 
            ne retrouve rien rien de Lucky Stanway, le chef d'orchestre... |   -------L'attentat du Casino 
        de la Corniche, qui survient au lendemain de l'épouvantable massacre 
        de Melouza par l'A.L.N. et qui porte à près de 
        vingt le nombre des civils tués en quelques jours par les bombes 
        de Yacef Saadi, va provoquer une très violente réaction 
        au sein de la population européenne. De plus, le climat politique 
        n'est guère favorable à un apaisement des esprits. Le président 
        Coty vient de gracier huit condamnés à mort et la France 
        est sans gouvernement. Le 21 mai a vu la chute de Guy Mollet.
 
         
          | -------Le 
            colonel Yves Godard, adjoint opérationnel de Massu est appelé, 
            le 11 juin 1957, par le chef de la 10è D.P., à prendre 
            en main la lutte dans la zone autonome d'Alger. Il va créer 
            Alger-Sahel et développer, face à Yacef Saadi, avec 
            les officiers de renseignements qui l'entourent, des méthodes 
            d'autodestruction du F.LN. |   -------Encore une fois, 
        les étudiants, les élus et les anciens combattants se font 
        les interprètes de la colère populaire qui gronde. La tension 
        atteint un seuil critique au-delà duquel le pire est à redouter. 
        Des tracts circulent sans que l'on sache très bien à qui 
        il faut les attribuer.-------De son côté, Baretaud, 
        qui a succédé à Amédée Froger à 
        la présidence de l'interfédération des maires, envoie 
        ce télégramme à l'Élysée:
 -------La situation 
        en Algérie et les sacrifices consentis par le pays exigent l'union 
        et le regroupement des hommes qualifiés et de bonne volonté 
        pour la formation d'un gouvernement de salut public décidé, 
        avant toute réforme politique, à faire respecter la souveraineté 
        française.
 La Casbah gardée 
        par la troupe... -------Au Gouvernement général, 
        Robert Lacoste est très inquiet de cette brutale poussée 
        de fièvre. Il sait que les obsèques des victimes du Casino 
        de la Corniche peuvent dégénérer en manifestations 
        très violentes et qu'il suffira de quelques provocateurs habilement 
        mêlés à la foule pour qu'elles débouchent sur 
        l'émeute et le bain de sang.
 
         
          | -------Au 
            plateau 
            des Glières se déroulaient tous les défilés 
            militaires d'Alger. Mais où se ruait aussi la foule dans les 
            grandes journées d'allégresse ou de fureur. C'est là, 
            après les attentats des lampadaires et du Casino de la Corniche, 
            que des ratonnades se sont amorcées et que des scènes 
            de douleur ont replongé Alger dans la terreur voulue par Yacef. |   -------Le mardi 1 1 juin, 
        jour de l'enterrement des 10 morts de la Corniche, une grève surprise 
        est déclenchée sur des mots d'ordre que propagent, de Bab-el-Oued 
        au Ruisseau, des jeunes gens à scooter. A l'exception des boulangeries 
        et des pharmacies, les uns après les autres, les commerçants 
        européens baissent leur rideau de fer, imités par leurs 
        collègues musulmans, qui préfèrent user de prudence. 
        Les grandes administrations débraient à leur tour. Dès 
        9 h 30, on signale des incidents entre de jeunes Européens et des 
        marchands musulmans du marché Clauzel et du marché de Belcourt.-------Vers la fin de la matinée, 
        plusieurs cortèges de manifestants se forment à Bab-el-Oued 
        et dans le centre aux cris de " Les paras 
        avec nous " et " Algérie 
        française ". Un hélicoptère " 
        Alouette " siffle dans le ciel, A son bord, le général 
        Massu, qui garde le contact radio avec le secteur Alger-Sahel, lui-même 
        en liaison avec le commissariat central et le Gouvernement général.
 A midi, après les obsèques d'une des victimes, Mme Ramos, 
        du cimetière d'El-Alia, c'est une foule imposante d'hommes et de 
        femmes au visage grave qui observe une minute de silence au monument aux 
        morts. -------Une heure auparavant, devant 
        la multiplication des incidents (vitrines de magasins brisées, 
        musulmans molestés, voitures renversées et incendiées), 
        le colonel Marey, qui commande le secteur Alger-Sahel, a donné 
        l'ordre aux C.R.S. et aux gendarmes mobiles de disperser les petits groupes 
        de jeunes gens dont la mobilité donne du fil à retordre 
        au service d'ordre.
 -------Toutes les entrées de la Casbah 
        sont gardées par la troupe derrière des chevaux de frise 
        et des réseaux de barbelés.
 Alger replonge dans 
        la folie...  -------Durant tout l'après-midi, 
        Alger va vivre dans cette fièvre. C'est dans le bruit des explosions 
        de grenades lacrymogènes, les injures aux C.R.S., les slogans et 
        le refrain de la Marseillaise que les malheureuses victimes du dimanche 
        de la Pentecôte sont conduites au cimetière de Saint-Eugène. 
        Il y a aussi, hélas! des ratonnades, notamment à Bab-el-Oued, 
        où les magasins musulmans ne se comptent plus. Ils sont surtout 
        le fait de voyous que l'on retrouvera que chaque fois qu'Alger descendra 
        dans la rue pour laisser éclater sa colère.-------Le soir, au terme de cette journée 
        qui comptera parmi les plus dures, on déplore six morts, cinq musulmans 
        et un Européen, une cinquantaine de blessés, en majorité 
        musulmans. Cent magasins ont été dévastés, 
        vingt voitures incendiées. Il y a deux cents arrestations. Plusieurs 
        hommes des unités territoriales en uniforme, qui avaient pris la 
        tête des cortèges, sont retenus par l'armée
 -------Le couvre-feu est avancé de 
        minuit à 21 heures. La nuit apporte avec elle l'angoisse du lendemain. 
        Avec ses nouvelles bombes, le F.L.N. a réussi à replonger 
        la ville dans la folie. Pour Robert Lacoste, le remède est clair 
        : il faut recommencer l'action entreprise janvier, détruire les 
        cellules terroristes qui se sont reconstitué
 Francis ATTARD 
         
          |  
              Les " diaboliques 
                " du dimanche sèment la mort sur les stades -----Djouher 
                Akhror, 17 ans, auteur de l'attentat du 1 stade municipal d'Alger 
                : 2 morts, 15 blessés.-----Baya Hocine, 16 ans, 
                terroriste du stade d'El-Biar. Elle déposa deux bombes 
                8 morts, 30 blessés.
 
 -----10 février 1957.
 -----Un dimanche.
 -----Place du Gouvernement, 
                trois garçons et deux filles attendent, au pied de la statue 
                du duc d'Orléans.
 -----Un taxi doit les prendre, 
                à 14 h 15, pour les emmener au stade. Ce ne sont pas des 
                sportifs tout à fait comme les autres. Les garçons 
                ont un peu l'air traqués : Bahal Boualem, Bellamine Mohand 
                et Bellamine Boudjema. Ils font partie des réseaux terroristes 
                de Yacef. On leur a donné l'ordre, la veille, de déposer 
                deux bombes au stade d'El-Biar et deux autres au stade municipal.
 -----À 16 h 15.
 -----Ces bombes, les filles 
                qui les accompagnent les ont attachées sous leur gabardine, 
                avec des foulards blancs. On ne fouille pas les femmes musulmanes. 
                De petites bombes, pas plus grosses qu'un dictionnaire. Les gamines 
                sont des lycéennes, Baya Nocine, qui fera équipe, 
                au stade d'El-Biar, avec Bellamine Mohand, seize ans, et qui, 
                d'une main sûre, déposera une bombe sur les gradins 
                et l'autre dans les W-C de la buvette. Djouher Akhror, elle, en 
                compagnie de Rahal Boualem, ira au stade municipal. C'est en dînant, 
                le soir qu'ils apprennent le bilan : 10 
                morts et 45 blessés.
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