Dans une rizière
de la Mitidja
par Georges Boni
Le riz, une
expérience de l'agriculture algérienne.
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En Algérie,
les premières expériences de la culture du riz furent menées
dans les années 1850 dans plusieurs régions: aux alentours
de Biskra, près de Koléa et à Saint-Denis-du-Sig.
Ces tentatives peu concluantes étaient restées sans lendemain.
Toutefois certaines stations expérimentales, comme celle de la
Ferme Blanche, à Saint-Denis-du-Sig, avaient poursuivi des études
tendant à prouver que la culture du riz était techniquement
possible en Algérie.
En 1950 une quinzaine d'agriculteurs oranais et algérois entreprirent
d'ensemencer quelques hectares. Ces essais ayant été couronnés
de succès, en 1952 se constituait un syndicat des riziculteurs
de l'Algérois qui se proposait d'encourager et soutenir l'effort
de ses membres par ses renseignements pratiques et par son appui.
Le texte qui va suivre - extrait de la revue Algéria (1954) - est
un reportage réalisé auprès d'un riziculteur de la
Mitidja.
BOUFARIK et son populeux marché traversés,
la route d'Oued el-Alleug lance vers Koléa un embranchement
rectiligne au milieu des pépinières et des plantations en
bandes soigneusement parallèles. C'est la Mitidja opulente, parfaitement
domestiquée où la main de l'homme a définitivement
marqué la plaine pour en faire un grand jardin. Un réel
effort d'imagination est nécessaire pour évoquer le marécage
sinistre, les fièvres croupissantes du temps jadis. Et puis, sans
transition, le passé semble faire irruption dans cette belle ordonnance.
Une vaste étendue d'aspect palustre (Qui
se rapporte aux marais.) borde la route jusqu'à la barrière
d'eucalyptus embrumée qui, à l'est, coupe l'horizon. Au
débouché d'un chemin de terre, une pancarte annonce : "
La petite Camargue ". Cette cuvette du bas Mazafran est, en effet,
devenue le terrain propice d'une expérience nouvelle : celle du
riz.
Près d'un hangar léger, des hommes s'affairent autour d'une
machine agricole monumentale, neuve d'apparence sous la carapace de boue
qui garnit ses chenilles. L'un d'eux, botté de caoutchouc et coiffé
d'un chapeau noir à larges bords, nous reçoit aimablement:
M. Houlmière, propriétaire de ces 40 ha de rizière,
est venu, accompagné de sa jeune femme, terminer la plus belle
moisson qui se puisse rêver. Sont aussi présents un technicien
en blouse blanche de la société John Deere, constructeur
de la moissonneuse-batteuse spéciale, et un ingénieur de
l'Institut agricole de Maison-Carrée, qui a suivi de près
l'expérience de M. Houlmière, l'assistant de ses conseils
techniques..., et qui le considère, nous dit-il en riant, comme
son " cobaye ".
M. Houlmière est, en effet, un des pionniers de cette culture nouvelle
en Algérie. Ils sont actuellement une vingtaine en Mitidja, exploitant
environ 500 ha. Avec leurs collègues d'Oranie (Moyen et Bas Chélif,
zone d'Inkermann en particulier) et quelques autres aussi autour de Bône,
ils ont porté cette année à 1800 ha les surfaces
ensemencées.
Récolte
à la faucille, près d'Inkermann
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Moissonneuse-batteuse sur chenilles
dans la "petite Camargue" du Mazafran.
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L'expérience n'est pas absolument nouvelle si l'on songe aux premiers
essais réalisés vers 1850, dans les environs de Biskra,
près de Koléa et à Saint-Denisdu-Sig. Mais ces tentatives
étaient restées sans lendemain et seules, depuis quelques
dizaines d'années, les stations expérimentales comme celle
de la Ferme Blanche avaient poursuivi des études tendant à
prouver que la culture du riz était techniquement possible en Algérie.
Ce n'est qu'en 1950-1951 qu'une quinzaine d'agriculteurs (oranais et algérois)
entreprirent d'ensemencer quelques hectares pour leur propre compte. Dès
1952 se constituait un Syndicat des riziculteurs de l'Algérois
se proposant de favoriser l'effort de ses membres par ses renseignements
pratiques et par son appui. M. Houlmière nous montre le lopin -
quelques ares à peine - où il fit ses
premières semailles. D'année en année, l'expérience
acquise aidant, il a pu augmenter à la fois surfaces et rendements.
Pour la campagne prochaine, il envisage d'ensemencer 60 ha.
Algéria : "
Ces terres basses, souvent inondées, qu'en faisiez-vous avant ?
".
M. Houlmière: " Du fourrage
naturel de bien mauvaise qualité y poussait. C'est tout. En certains
points nous sommes au- dessous du niveau de la mer. Ici même, au
moment des grosses inondations du printemps dernier, la terre était
recouverte par deux mètres d'eau. C'est tout à fait exceptionnel
bien sûr, cela nous a d'ailleurs gênés : les semences
ont été parfois emportées. Vous savez sans doute
que le riz se sème en mars - avril - et vous pouvez constater maintenant
l'épaisseur du dépôt laissé par les eaux ".
On enfonce en effet d'une quarantaine de centimètres dans une glu
jaunâtre pour trouver le sol dur; c'est ce qui a rendu indispensable,
cette année, l'emploi d'une machine spéciale montée
sur chenilles et bien adaptée à ce terrain inabordable pour
les engins de type classique. Nombre de propriétaires ont aussi
fait appel à une main-d'oeuvre abondante, jusqu'à 300 ouvriers
dans une seule exploitation, pour effectuer la moisson à la faucille.
Dans le dernier carré qu'il reste à moissonner, le riz entièrement
couché forme un tapis sur la boue. La " verse " a été
fréquente cette année, compliquant un peu le travail de
la machine. Celle-ci, qui s'est engagée dans la rizière,
attaque d'abord dans un sens, le rabatteur au ras du sol, puis "
recroise " perpendiculairement. Déjà un premier sac
de paddy " ( Riz dépiqué
encore enrobé de sa balle que le décort quage en usine peut
seul séparer du grain.) (soixante, soixante-cinq kilos)
glisse dans la gouttière et atterrit dans un champ où un
ouvrier le ramasse. La paille tourbillonne: une impalpable poussière
environne la machine et les hommes auront, le soir, bien du mal à
se débarrasser de ce poil à gratter.
A. : " Et quel est
le rendement obtenu à l'hectare ? ".
M. H.: " Cette année,
ce sera dans les 80 à 90 quintaux ".
Le chiffre nous laisse un peu abasourdis. C'est sans doute un record mondial.
En fait, cette parcelle a particulièrement bien " rendu "
mais la moyenne en Mitidja se tient aux environs de 50 quintaux à
l'hectare, ce qui est déjà très beau. En Extrême-Orient,
le rendement moyen est de 15 quintaux, en Espagne et en Italie de 40 quintaux.
Ici, il suit une progression régulière, depuis 1951, grâce
à l'utilisation extrêmement poussée des engrais chimiques.
Dans certaines terres salées du Bas Chélif, les rendements
ont été, l'an dernier, très irréguliers et
souvent décourageants. Il semble que si, contrairement au blé,
le riz supporte une certaine dose de chlorure de sodium, le sel ne soit
pas favorable à la bonne croissance de la plante. Aussi l'emploi
des terres salées doit être soigneusement étudié.
Ce n'est d'ailleurs pas le seul élément dont dépend
le succès d'une exploitation.
Il y a le choix des variétés les mieux adaptées :
" magnolia " ou " balilla ", " bomba " ou
" stirpe ", riz long R. B., etc. II y a l'aménagement
et le nivellement des clos, ainsi que la conduite de l'arrosage et la
lutte contre les herbes envahissantes dont le "typha ", qui
se distingue mal de la jeune pousse de riz, est la plus néfaste.
Les oiseaux, gourmands et pillards de grains, sont d'autres ennemis pour
le riziculteur. Le choix et le dosage des engrais selon les différentes
terres ne sont pas non plus sans importance. Chacun sait que la rizière
est un champ recouvert d'une couche d'eau quasi permanente. Elle est divisée
en clos, séparés par des banquettes. Entre les clos, l'eau
circule par des passages caissonnés. La terre argileuse retient
parfaitement les eaux artésiennes et celles de deux oueds, affluents
du Mazafran, qui alimentent la rizière.
Moissonneuse-batteuse sur chenilles
dans la "petite Camargue" du Mazafran.
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A.: " Livrez-vous immédiatement
votre récolte à l'usine de décorticage ? ".
M. H.: " Non, pas entièrement.
La commercialisation semble devoir être, cette année, plus
difficile. Les achats vont se faire au fur et à mesure des besoins
du marché. Celui-ci n'est d'ailleurs pas organisé comme
pour les céréales; seuls les prix sont fixés officiellement,
selon les différentes qualités. Les riziculteurs souhaiteraient
avoir certaines garanties quant à l'écoulement de leur riz...,
alors surtout que les services publics encouragent cette culture ".
C'est sur l'évocation de ce problème que nous quittons "
la petite Camargue " pour gagner Guyotville où se trouve installée,
depuis moins d'un an, l'usine de la Sorizal (Société rizicole
algérienne). Trois autres rizeries se sont installées en
Algérie : celle du PacAfric à Hussein-Dey et deux en Oranie
(à Oran et à Saint-Cloud).
Colonne de séchage
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La phase industrielle
Cette société anonyme a été
créée dans le but d'usiner et de vendre le riz livré
par les producteurs, sociétaires ou autres. On retrouve à
son origine les mêmes hommes qui mirent sur pied le Syndicat des
riziculteurs déjà cité et notamment M. Alemany, exportateur
de primeurs, M. Donin de Rosière, ingénieur, président
du Syndicat, un chef de grands domaines M. Bardelli, ainsi que le colonel
Peyronnet dont on connaît les nombreuses études qu'il a consacrées
à la culture du riz dans la presse agricole.
M. Gilbert Alemany nous conduit d'abord à l'usine de séchage
sur la route de Staouéli. C'est un immense hangar métallique
où sont entreposés en piles impressionnantes les sacs de
riz fraîchement récolté. Les grains de paddy titrent,
en effet, au sortir de la rizière, une humidité de l'ordre
de 18 à 20 %, trop élevée pour permettre un passage
immédiat à l'usine de décorticage. L'humidité
requise pour cet usinage ne doit pas sensiblement dépasser 15 %.
Le séchage au soleil des champs est aléatoire (la saison
ne s'y prête guère) et fort dispendieux en main-d'oeuvre
et en pertes. D'où la justification d'un traitement industriel.
L'appareillage en est simple et assez peu volumineux, il n'occupe qu'une
faible partie du hangar. Une chaudière fournit l'air chaud à
la température de 50°. Un monte-charge à godets élève
le riz au sommet de la tour de séchage dans laquelle il redescend
lentement, par palier, avant de subir un refroidissement par ventilateur.
Le tout est mû provisoirement par un tracteur à poste fixe,
en attendant la prochaine électrification promise par EGA. Un petit
laboratoire est installé en annexe : on y examine un échantillon
de chaque arrivage pour en déterminer non seulement l'humidité
mais le pourcentage de détritus ou de grains verts que peut contenir
le paddy. L'instrument électrique qui fournit sur un cadran le
degré d'humidité est une petite merveille de précision
et de simplicité à l'usage.
Table à secousses
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L'usine de décorticage, à la sortie de l'agglomération
guyotvilloise, est entrée en service à la fin de l'an dernier.
M. Alemany nous indique que 7000 quintaux y ont été traités
pendant cette première campagne commencée, il est vrai,
avec un certain retard. Cette année, 30 000 quintaux passeront
dans ses machines. Celles- ci, construites par une firme hambourgeoise,
constituent un bloc rationnel apparemment peu compliqué: le paddy
s'engouffre dans des trémies à gauche pour ressortir à
l'autre bout sous forme de riz blanc et brillant. Bien entendu, cette
simplicité n'est pas aussi grande qu'on l'imagine. Les opérations
se font en cascade et comportent chacune plusieurs temps. C'est ainsi
que le décorticage proprement dit, réalisé dans un
premier cône garni d'une meule, est complété dans
un deuxième cône analogue. La balle séparée
du grain est recueillie et les poussières évacuées
vers le toit par d'énormes tubulures d'aspiration ramifiées
qui suggèrent celles d'un navire.
Le riz décortiqué, ou riz " cargo ", subit un
premier calibrage dans un tamis oscillant, puis trois blanchissages successifs.
Le résidu est une farine très fine, utilisée pour
l'alimentation animale.
À l'issue de ces différents stades, on obtient d'une part
du riz entier, d'autre part des brisures de calibres variés, allant
jusqu'à la semoule. Celle-ci est employée en brasserie.
L'usine comporte aussi un appareil de glaçage, rarement utilisé.
Le rendement du riz entier se trouve généralement limité
à 55 % du poids de paddy. L'installation est susceptible de traiter
jusqu'à 20 quintaux à l'heure, mais elle travaille habituellement
selon les besoins de la vente car le paddy en stock se conserve très
bien, à l'abri de sa gaine protectrice.
PRODUIRE N'EST PAS TOUT : IL FAUT VENDRE
M. Alemany qui est l'un des principaux riziculteurs
de la Mitidja, envisage l'avenir avec optimisme. La production algérienne
actuelle n'est plus très loin d'atteindre la consommation locale,
évaluée approximativement à 50000 quintaux de riz
marchand. Près de 80000 quintaux de paddy viennent d'être
moissonnés entre la mi- septembre et la mi-octobre, soit environ
le double de l'an passé. Les difficultés d'écoulement
qui peuvent se présenter ont pour origine essentielle l'existence
de stocks excédentaires dus à l'importation de riz italiens,
marocains et camarguais. La qualité excellente et le prix normal
des riz algériens ne sont pas en cause: il s'agit avant tout de
relations commerciales préexistantes avec les fournisseurs antérieurs,
devenus maintenant concurrents. Un contingent de 1 000 tonnes va probablement
être admis à l'importation en métropole pour dégager
ces excédents. Par ailleurs les licences d'importation accordées
au bénéfice de l'Italie seront sans doute réduites
ou supprimées. L'extension du marché algérien demeure
enfin la meilleure solution à ce problème qui semble bien
n'être que passager.
C'est que le riz n'est pas consommé très largement par les
populations algériennes. Les Européens lui donnent sans
doute une place notable dans leur alimentation, mais la cuisine musulmane
l'ignore presque. Or sa valeur nutritive est des plus élevées
(un kilo de riz représente en calories beaucoup plus qu'un kilo
de semoule) et compte tenu d'un sain équilibre alimentaire destiné
à compenser certaines lacunes, en vitamines B notamment, le développement
de sa consommation est fort souhaitable.
Des prix " rognés " au maximum grâce à une
régularité plus grande des hauts rendements déjà
obtenus et à une simplification des circuits commerciaux, une présentation
et une publicité efficaces doivent permettre de " lancer "
le riz dans la grande masse de la population algérienne. Les besoins
seront alors tels que la production trouvera facilement à s'écouler
sur son marché intérieur... L'exportation de certaines variétés
de riz long de luxe n'est d'ailleurs pas exclue et la Sorizal l'envisage
dès cette année.
Dans le cadre des décisions gubernatoriales des 16 mars et 4 mai
1953, les pouvoirs publics ont apporté à la riziculture
algérienne des encouragements notables. Ils comportent une aide
financière au taux d'intérêt réduit à
3 %, un rabais sur le prix de l'eau d'irrigation et, éventuelle
ment, une aide technique des services administratifs.
Cette politique vise à la fois la mise en valeur de régions
incultes, palustres ou salées, dont la carte est dressée
à l'intérieur de chaque département, et le développement
de l'emploi dans le secteur agricole. La riziculture est, en effet, à
l'ère même de la mécanisation, avide de main-d'oeuvre:
on cite le chiffre de 150 journées de travail par an à l'hectare.
La pratique du repiquage, rare il est vrai en Algérie car sa rentabilité
est controversée, peut encore augmenter l'emploi. Il est intéressant
de noter que la période des grands travaux en rizière (semailles
de printemps et moisson d'automne) coïncide avec une morte-saison
dans la plupart des autres cultures.
L'acheminement progressif du " fellah " vers la culture du riz
est l'une des préoccupations du Syndicat des riziculteurs. M. Donin
de Rosière, son président, écrit: " Combien
de parcelles de quelques arpents, un demi, un tiers, un cinquième
d'hectare, qui sont situées en bordure de rivières à
débit d'étiage permanent et ont un sol argileux compact,
donc à vocation rizicole certaine, pourraient être, sans
grands efforts, transformées en rizières et assurer ainsi,
avec des variétés de riz rond, une base d'alimentation familiale
saine, d'accommodements faciles et variés... ". II ne manque
pas cependant de formuler quelques réserves : en raison de l'irrégularité
pluviométrique, et malgré l'accroissement des périmètres
arrosés par les barrages-réservoirs, la surface totale de
ces terres vouées au riz ne pourra pas dépasser un certain
plafond, non encore déterminé avec précision mais
relativement bas si l'on se réfère à la superficie
agricole globale du pays.
On peut donc raisonnablement prévoir pour le riz d'Algérie
un avenir favorable mais limité, lié au développement
de la consommation locale, plutôt qu'une évolution vers la
grande culture d'exportation du type vigne ou agrumes.
Quoi qu'il en soit, la plupart des producteurs algérois projettent
d'étendre la culture aux prochaines semailles, et les demandes
d'agrément déposées en Oranie, actuellement en cours
d'examen, couvrent près de 4 000 ha. C'est, quatre années
seulement après les premières initiatives, la meilleure
preuve du succès de l'expérience
Du bon riz algérien!
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Georges Boni
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