agriculture et arboriculture en Algérie après 1962
Bilan critique du barrage vert en Algérie
SAHRAOUI BENSAID
Unité de recherches sur les zones arides Centre de recherches scientifiques
et techniques sur les régions arides BP 119, Alger-Gare, 16000 Alger, Algérie
Sécheresse n° 3, vol. 6, septembre 95

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N.B: Pour le texte, les illustrations, cartes, schémas , se reporter au PDF.

Voici une analyse courageuse et objective de vingt ans de barrage vert en Algérie. A partir d'un bilan qui ne prétend pas à l'exhaustivité puisqu'il est ciblé sur une seule zone, l'auteur fait apparaître clairement les réalisations et difficultés rencontrées. Une part importante de l'article fait état des leçons à tirer de ces vingt années d'expérience algérienne.

La dégradation rapide des nappes alfatieres, constatée dès 1967 à la suite des labours, du surpâturage, etc., et qui continue encore aujourd'hui, a incité les forestiers à intervenir pour assurer leur protection. Ce sont les arbres forestiers épars et les petites plantations effectuées par les Ponts et Chaussées qui donnèrent à penser que des essais méritaient d'être entrepris [1]. Les préoccupations d'origine écologique et la volonté d'extension du patrimoine forestier pour la production ont conduit à constituer, dès 1968, quatre projets de reboisement déployés à l'arrière des forêts naturelles de pins d'Alep, dans les monts des Ouled-Nail (région de Djelfa), afin d'accroître de 80 000 hectares les peuplements d'origine artificielle.
Le premier périmètre reboisé fut celui de Moudjbara (photo 1) et les plantations qui y furent effectuées en 1969 donnèrent des résultats encourageants. Par ailleurs, une unité du service national fut créée pour protéger le bassin versant de l'Attout (Wilaya de Batna), limiter l'envasement du barrage, implanter un petit système hydraulique et amorcer ainsi le développement socio-économique de la zone.

En 1972, le président de la République feu Houari Boumediène annonçait la réalisation du barrage vert [1]. De conception essentiellement forestière dans sa première formulation, il consistait en un boisement de 3 millions d'hectares. Sa conception ne sera revue que plus tard, en 1982. L'objectif fondamental devint alors le rétablissement de l'équilibre écologique du milieu par une exploitation rationnelle des ressources
naturelles. Il s'agissait en fait d'une approche intégrée visant à :
- améliorer le niveau de vie de la population ;
- restaurer et augmenter le potentiel productif des terres ;
- reconstituer les peuplements forestiers disparus et reboiser les terres à vocation forestière ;
- mettre en valeur les terres pastorales et agricoles et fixer les dunes ;
- mobiliser les ressources en eau superficielles et souterraines.

Le champ d'intervention du barrage vert est constitué par la zone présaharienne comprise entre les courbes isohyètes 300 millimètres au nord et 200 millimètres au sud. Il représente une bande de près de 1 000 kilomètres de long, allant de la frontière marocaine à l'ouest à la frontière tunisienne à l'est, sur 20 kilomètres de large. A l'origine, sa délimitation a été faite à main levée entre les courbes isohyètes 200 et 300 millimètres et l'opération avait pour point de départ les massifs forestiers préexistants déjà à Ain-Sefra, ElBayadh, Aflou, Djelfa, Boussâada, Batna et Tebessa pour s'étendre par la suite aux régions steppiques avoisinantes (figure 1).

Données succinctes sur le milieu physique et humain

Divers travaux ayant trait aux zones steppiques ayant déjà été publiés, le lecteur pourra s'y référer. Pour notre part, nous présenterons succinctement la zone. Elle est caractérisée par la faiblesse des précipitations annuelles qui oscillent entre 100 et 400 millimètres par an. L'amplitude thermique saisonnière est élevée. La moyenne des minima du mois
le plus froid se situe entre - 1,7 et 1,8 °C, celle des maxima du mois le plus chaud entre 33 et 41 °C. Cependant, des températures de - 12 et
+ 45 °C peuvent être atteintes. Le nombre de gelées peut s'élever jusqu'à 40 jours par an et, à cela, il faut ajouter le sirocco qui peut se manifester entre 20 et 30 jours par an. L'influence du Sahara se traduit, dans cette zone, par un climat sec et chaud. La végétation est essentiellement constituée de forêts et matorrales (steppes) arborés à Pinus halepensis (pin d Alep), Juniperus phcenicea (genévrier de Phénicie) et Quercus ilex chêne vert). Dans les Bayas, qui sont des dépressions alluvionnaires fermées à texture limoneuse, on rencontre Pistacia atlantica (pistachier de l'Atlas) et Ziziphus lotus (jujubier). La steppe gramineenne est à base de Stipa tenactssima (alfa), Lygeum spartum (sparte) et d'Anistida pungens (drinn) sur sol sableux. La steppe à Artemisia herba alba (armoise blanche) occupe les sols à texture fine : elle constitue un excellent parcours pour les troupeaux qui apprécient l'armoise. La steppe à halophytes se retrouve sur les terrains proches des chotts, ou dépressions salées, peuplés surtout de Sueda sp., Salsola sp. et Atriplex sp. Les sols de la zone du barrage vert sont essentiellement caractérisés par une faible profondeur un taux élevé de calcaire actif dû à la présence d'une dalle calcaire et à l'accumulation de calcaire de différents types. La grande majorité des sols se range dans la classe des sols calcimagnésiques. L'activité économique s'organise autour de la production ovine et, accessoirement, de la céréaliculture en sec. La population se divise en trois catégories : les nomades, qui représentent près de 30 % de la population et migrent périodiquement pour rechercher de meilleurs pâturages, les semi-nomades, qui ont une activité pastorale et restent liés à la terre qu'ils cultivent eux- mêmes et, enfin, les sédentaires.

Bilan général du programme
Le programme de réalisation du barrage vert a été confié au ministère de la Défense nationale et le, maître d'oeuvre est l'ex-secrétariat d'Etat aux Forêts. Pour cet article, nous nous sommes contentés de l'information disponible auprès des services forestiers qui sont plus faciles d'accès.

Prévisions et réalisations
L'examen de la figure 2 montre que, sur des prévisions d-e 160 000 hectares, seulement 123 000 hectares ont été traités, soit 77 %. Ce taux de réalisation varie d'une wilaya à l'autre. Il est probablement en rapport avec la surface à traiter, la présence des groupements de travaux forestiers et les aspects d'ordre juridique relatifs à l'expropriation. Sur les neuf wilayas, seule Bouira arrive à un taux de 100 %.

Réalisations et réussite
La figure 3 indique que sur les 123 000 hectares traités, soit 77 % des prévisions, le taux de réussite (pourcen- tage de plantations ayant survécu après trois années) n'est que de l'ordre de 42 %. Ce taux varie d'une région à l'autre.

Types d'interventions
La figure 4 montre que le reboisement en essences forestières (essentiellement le pin d'Alep) occupe la plus grande place avec 106 000 hectares, soit 86 % du total, suivi par l'amélioration pastorale avec près de 13 000 hectares, soit 12 % et, enfin, par la plantation fruitière (2 300 ha) et la fixation des dunes (1 900 ha), soit environ 0,5 % pour chaque type.

La figure 5 montre que les réalisations sont fonction des spécificités des régions ; la fixation des dunes n'a concerné que les zones à fort ensablement. Pour la plantation fruitière, l'amélioration pastorale et les brise-vent, nous commenterons les résultats ultérieurement.
Pour mettre en évidence cette nouvelle orientation prise par le programme, nous avons choisi la wilaya de Djelfa car c'est là que les travaux ont débuté, que le barrage vert y est le plus large (figure 1) et que l'on y trouve tous les types d'interventions (reboisement, fixation de dunes, amélioration pastorale etc.).

L'examen du tableau I indique que, à partir de 1985, des opérations de regarnis sont exécutées sur les anciens reboisements, soit 2 300 hectares de 1985 à 1990.

Ainsi, à partir de 1983, ont été réalisés : 1 500 hectares d'amélioration pastorale, 60 hectares de plantations fruitières, près de 150 kilomètres de piste, la création de deux points d'eau et, enfin, des corrections torrentielles sur 3 620 kilomètres, alors que, de 1974 à 1983, aucune opération n'avait été faite sur les anciens reboisements, pas un hectare d'amélioration pastorale n'avait été réalisé, ni aucune plantation fruitière, de rares pistes avaient été ouvertes, aucun point d'eau n'avait été créé et, enfin, la correction torrentielle avait été nulle... Ceci illustre la nouvelle orientation prise par le programme du barrage vert, à savoir le développement d'aménagements intégrés en zones steppiques

Études réalisées
Le tracé du barrage vert ayant été fait à main levée, aucune étude du milieu n'a été réalisée, les plantations étaient effectuées sur la base du projet d'exécution. Les échecs importants amenèrent les services forestiers à lancer une série de deux types d'études à partir de 1982.

Figure 2. Bilan des prévisions et des réalisations : total général et par wilaya (d'après ANF [2]).

Prévisions Réalisations

Le premier comportait des études de zones pilotes réalisées par les services forestiers et portant sur une superficie de 70 000 hectares dans les wilayas de Khenchela, M'Sila, El-Bayadh, Batna, Laghouat, Djelfa, et Tebessa. Le deuxième type était constitué d'études plus générales réalisées par d'autres services concernant les zones suivantes :
- wilaya de Khenchela, zone pilote de développement intégré comprenant des actions de reboisement, de mise en valeur et d'infrastructures sur 97 000 hectares (étude achevée en 1982) ;
- wilaya de Batna, zone pilote de développement intégré avec actions de reboisement, mise en valeur et infrastructures sur 117 000 hectares (étude achevée en 1982) ;
- wilaya d'El-Bayadh, projet de développement rural intégré sur 118 000 hectares (étude achevée en 1982) ;
- wilaya de Bouira, aménagement inté?
gré par des actions de reboisement et plantations fruitières sur 200 000 hectares (étude achevée en 1993) ;
- wilaya de Djelfa, projet pilote comprenant des actions de reboisement et de mise en valeur (étude achevée en 1990) ;
- wilaya de Tebessa et wilaya de Laghouat, projets pilotes (identiques à celui de Djelfa) sur 100 000 hectares (études achevées en 1990).
Selon les services forestiers, ces études concernent près de 550 000 hectares sur un total de 3 millions, dont 1 % seulement ont été plantés à ce jour.

Zones d'impact

Pour effectuer les plantations, des défrichements importants ont été opérés sur des nappes alfatières relativement bien conservées ou dans des couloirs de transhumance. Des terres de statut " Arch " appartenant à des tribus ont subi le même sort.
Dans la wilaya de M'Sila, près de 30 % des terrains reboisés sont de nature juridiques " Arch ". Après promulgation de la loi sur l'accession et l'orientation foncière (loi 83.18 du 13 août 1983), ils ont été revendiqués par la population.

Dans la région de Dirah (Bouira) 90 % des terres sont " Arch ". De ce (ait, les travaux du GTF (Groupement des travaux forestiers) furent considérablement limités face à l'hostilité de la population à l'égard des plantations qui réduisaient les surfaces de parcours.
Dans la wilaya de Laghouat, les reboisements sur terrains plats à vocation pastorale entraînèrent des situations conflictuelles avec les éleveurs qui arrachèrent les jeunes plants ou firent paître leurs troupeaux dans les plantations. On se rendit compte qu'il était alors illogique de continuer à planter. C'est pourquoi, à partir de 1982, l'unité du service national fut déployée vers les zones à vocation forestière où les résultats ont été plus qu'encourageants.

Dans la wilaya d'El-Bayadh, les plantations effectuees sur des zones planes,


Réalisation Réussite

Figure 3. Bilan des pourcentages de réalisation et des pourcentages de réussite par wilaya et total général (d'après ANF [2]).
donc terrains de parcours, ont entraîné une protestation de la population. En effet, sur les 22 727 hectares plantés, 63 % constituent un échec, principalement à cause des troupeaux, la surveillance étant très difficile à,assurer vu l'importance de la surface. A partir de 1982, pour tenir compte de la vocation pastorale de ces zones, toutes les plantations étaient constituées d'espèces fourragères ; ainsi près de 3 000 hectares furent plantés en Atriplex et frêne. La mise en défens temporaire et systématique de ces nouvelles plantations par l'armée entraîna la désapprobation des autorités locales civiles. En effet, pour eux il était inconcevable de ne pas ouvrir ces belles parcelles aux éleveurs. Le service forestier et l'armée ont alors proposé aux responsables locaux de trouver un système de gestion adéquat pour préserver les plantations. Malheureusement, l'inexistence d'un plan d'exploitation a conduit à la destruction de ces plantations en peu de temps.

Dans la wilaya de Djelfa, le Groupement des travaux forestiers installe à Tadmit depuis 1974 réalisa près de 800 hectares de plantation. Le choix d'impact sur nappe alfatière a entraîné un taux de réussite presque nul malgré l'acharnement des jeunes du service national à regarnir les parcelles dégradées. L'unité du service national fut alors déployée dans la région d'Ain Maabad pour la reconstitution du versant nord de la forêt dégradée de Senalba (Djelfa). Les plantations de pin d'Alep ont donné là d'excellents résultats (photo 2).

Dans la wilaya de Batna, les 80 000 hectares de plantation ne purent échapper à la pression de la population. La wilaya déclara alors l'ensemble des terrains du barrage vert d'utilité publique, mais cette mesure ne permit pas de limiter les dégâts. Les
terres étaient réclamées en vertu de la loi relative à l'accession à la propriété foncière agricole (citée plus haut). A partir de 1983, l'unité du service national s'est déployée dans le Djebel M'tlili. Dans la wilaya de Tebessa, tous les reboisements sur les terres " Arch " ont été contestés et ont subi toutes les dégradations possibles (arrachages, coupes, pacage).

De tous les travaux, seuls les routes, les points d'eau, les retenues collinaires et les vergers arboricoles, cédés gratuitement, ont été bien acceptés. Ils permettent en effet le désenclavement et constituent des points d'abreuvement pour les troupeaux. En revanche, les plantations d'espèces forestières réduisent les terrains de parcours.

Monoculture du pin d'Alep

L'utilisation du pin d'Alep a entraîné une prolifération de la chenille processionnaire du pin qui a détruit une grande partie des reboisements. Les arbres qui arrivent à survivre sont chétifs, leur croissance est ralentie et ils sont exposés à d'autres ravageurs, notamment la tordeuse du pin qui affecte le bourgeon terminal et compromet définitivement la croissance du plant. L'évolution de l'utilisation du pin d'Alep dans les reboisements est illustrée par les pourcentages suivants :
- 1970-1981: 100 % ;
- 1982 : 90 %;
- 1983 : 70 % ;
- 1984 : 65 % ;
- 1985 : 50 %.

La diversification des essences eut été un gage de pérennité du barrage car elle était largement possible. De plus, le mélange améliore la qualité du sol. Le choix n'a été rectifié que bien plus tard (en 1982) par l'introduction de diverses espèces : Quercus ilex (chêne vert), Cupressus arizonica (cyprès de l'Arizona), Cupressus sempervirens (cyprès toujours vert), Fraxinus sp. (frêne), Acacia sp. (acacia), Atriplex sp., Eleagnus angustifolio (olivier de Bohême), Prosopis juliflora, Medicago arborea, Pistacia atlantica (pistachier de l'Atlas), Juniperus sp., Casuarina sp., Populus sp. accompagnés d'espèces fruitières tels l'amandier, l'abricotier, le figuier et le grenadier.

Bilan technique des plantations
Préparation des plantes
o Qualité des graines
La réussite d'un reboisement dépend fondamentalement de la qualité de la graine. Les graines, nécessaires à la production de plants en pépinières, sont ramassées aléatoirement, même sur les arbres de mauvaise qualité forestière (malade, faible rectitude, etc.). De plus, des cônes non encore murs sont récoltés et, donc, une grande quantité de graines est immature et ne germe pas. L'ouverture des cônes se faisait auparavant par exposition au soleil, d'où une perte de temps et de graines (à cause des prédateurs tels oiseaux et rongeurs). Plus tard, dans la pépinière de Moudjbara (Djelfa) de loin la plus importante (20 000 000 plants/an), fut installé un appareil permettant I ouverture des cones par chauffage. Après tamisage, les graines sont triées en fonction de leur poids. Selon les pépiniéristes, les
Figure 4. Bilan général des diverses interventions (d'après ANF [2]).

Tableau I. Travaux effectués dans la wilaya de Djelfa de 1974 à 1990

o Mauvais choix des provenances
L'examen de la figure 1 montre que près de 98 % des pépinières du secteur forestier se situent dans l'Algérie du Nord, la forte demande de plants pour la réalisation du barrage vert ne pouvant être satisfaite par la quinzaine de pépinières situées dans la zone du barrage. De plus, pendant les périodes de pointe pour les reboisements, les plants sont acheminés du nord de l'Algerie à partir des pépinières des étages bioclimatiques humide et subhumide. Les graines utilisées dans ces pépinières sont récoltées sur des peuplements situés dans ces étages bioclimatiques et élevées dans des pépinières où l'évapotranspiration est moins importante comparativement à la zone semi-aride. Une fois mis en terre, les plants ne supportent que difficilement le nouveau milieu du fait de leur potentiel génétique (écotype) et des conditions particulières du milieu dans lequel ils sont placés. De ce fait, ils n'arrivent pas à surmonter le stress de la transplantation. Or, comme la présence d'écotypes de pin d'Alep en Algérie a été démontrée [3], il serait donc préférable de cesser d'acheminer les plants du Nord. La production de plants sur place réduirait en outre considérablement les coûts de transport. C'est dans cette optique, et à partir de 1982, que des pépinières du service national furent créées en plein centre de la zone du barrage (Draa-El-Ahmar pour l'ouest, Sidi-Bouzid, Tadmit, Boussâada pour le centre, Bou-Maguer, Ras-ElAioun, Cheria, Elma Labiod pour l'est) (figure 1). Ainsi, dix pépinières d'une superficie de 95 hectares dont 40 de surface agricole utile ont permis la production de 40 millions de plants par an,
les besoins étant largement satisfaits compte tenu des programmes confiés à l'armée qui ne demandent que 25 millions de plants annuels. Pour régler le problème des semences, des arbres porte-graines furent identifiés dans chaque région en fonction de leur qualité forestière (rectitude, robustesse, etc.). A partir de 1983, il a été décidé d'élaborer un plan annuel prenant en compte la nécessité de choisir les espèces les mieux adaptées à chaque zone, de repérer les peuplements porte-graines dans chaque region et d'accroître la diversification des essences en rapport avec les objectifs de chaque wilaya (production de fourrage, fixation de dunes, etc.). Les pépinières ont fait l'objet d'une attention particulière avec l'installation de pare-soleil pour protéger les semis, d'asperseurs pour faciliter les arrosages et de filets anti-oiseaux. Pour éloigner les moineaux qui consomment les graines contenues dans les sachets, des gardiens munis de frondes sillonnaient, avant la levée des plants et toute la journée, les planches de semis de la pépinière de Moudjbara.

o Élevage des plants en pépinières

L'élevage de plants n'est pas fait selon les normes. Le séjour en pépinière est trop long, jusqu'à un an, alors que des travaux ont montré que, au-delà de six mois, les sachets de polyéthylène favorisent la formation de " chignon " autour des racines qui étrangle le pivot et em- pêche la circulation de la sève. L'équi- libre système racinaire/système aérien est alors rompu, influençant définitivement la qualité du plant donc la future plantation [4]. Les substrats utilisés pour le remplissage des sachets ne sont pas maîtrisés ; lorsqu'ils sont trop argileux, la motte se dessèche vite et durcit en étouffant le système racinaire, ce qu compromet la circulation de la sève. Et il n'est d'ailleurs pas rare de retrouver sur le terrain des plants morts avec leur motte encore intacte et dure. Ceci pourrait expliquer une bonne partie des échecs. A partir de la campagne 1982, une attention fut portée aux substrats et des mélanges plus adéquats furent alors utilisés (1/-10 de fumier, 2/10 de sable et 7/10 de terre). De plus, des commissions d'agréage furent installées pour vérifier la conformité des plants avant leur acheminement sur les chantiers. Selon les informations que nous avons recueillies à Djelfa, les résultats obtenus sur le terrain sont maintenant meilleurs.

o Transport des plants
Les plants produits sont acheminés vers la zone de plantation en bacs plastique qui ne protègent pas les plants contre le
dessèchement : arrivés au chantier, ils sont totalement secs.

Réalisation des plantations
o Travail du sol
On avait aussi remarqué que les échecs de la plantation pouvaient provenir de la présence d'une dalle calcaire empêchant le système racinaire de pousser en profondeur. La casser pouvait donc permettre au plant d'envahir un volume de sol plus important. Cette opération fut alors réalisee avant plantation avec un rooter (gros engin à trois dents) (photo 3). Cette technique, qui peut être simple ou croisée, a été réalisée systématiquement sur la zone devant recevoir des arbres. Les dents du rooter peuvent atteindre 0,50 mètre de profondeur et, exceptionnellement, 0,80 mètre. C'est une opération très coûteuse, absorbant à elle seule près de 30 % du prix de revient à l'hectare.

Cette opération était-elle alors justifiée ? Des travaux ont montré que si l'utilisation du rooter favorisait l'infiltration d'eau de pluie, elle provoquait une dessiccation plus rapide du sol car elle augmentait la surface de contact avec l'air [5]. De plus, elle élevait le taux de calcaire actif qui pêne la croissance des plants de pin d Alep. Elle faisait également remonter en surface de gros blocs de calcaire rendant le creusement des potets très difficile. Il fallait donc, après chaque utilisation, ramasser ces blocs utilisés en partie pour le bornage des parcelles reboisées. Le coût du reboisement s'en est trouvé augmenté alors que les taux de reprise sur sols ainsi préparés restaient très faibles, de l'ordre de 5 à 20 %.

o Dimensions des potets
Les potets devant recevoir la plantation mesuraient 40 x 40 x 40 cm. En Algérie, ces valeurs sont standard quel que soit l'étage bioclimatique ou le type de sol, mais on ignore quel est l'optimum économique.

o Densité de plantation
Il a été décidé empiriquement de planter 2 000 plants par hectare (écartement 2,5 x 2,5 m) mais, vu la faible disponibilité en eau, on pouvait songer à planter moins densément. Généralement, les fortes densités sont utilisées pour assurer un élagage adéquat des arbres destinés à la production de bois de déroulage ou de sciage. Après vingt années de reboisement, il est illusoire d'espérer une production de bois avec ces plantations alors que, dans les forêts naturelles, la production n'excède guère 2 m3/ha/an en moyenne. L'objectif ne peut être que de protection, qu'importe alors pour nous si l'arbre peut être élagué ou non, s'il est droit ou non. Il faut considérer que la densité de 2 000 plants par hectare est élevée d'un point de vue écologique et économique.

o Date de plantation
Généralement, les plantations sont effectuées entre septembre et mars, période où la probabilité des pluies est la plus importante. Des travaux réalisés dans la région de Djelfa ont montré qu'il y a arrêt de croissance des systèmes racinaire et aérien entre le mois décembre et le mois de mars à cause des basses températures, qui avoisinent 2° C à 1 centimètre de profondeur, et des gelées assez fréquentes durant cette période [6]. C'est pourquoi les plantations réalisées en décembre et janvier ne permettent pas un taux de reprise élevé. En revanche, entre mars et mai avec un arrosage d'appoint, les taux de reprises sont de l'ordre de 80 %.

o Technique de plantation
On a toujours pensé que les plants, même mis en terre dans leur sachet de polyéthylène, pouvaient survivre et que le système racinaire arriverait à percer le sachet. On s'est rendu compte bien plus tard, à la suite de nombreux échecs, qu'il n'en était rien. En effet, en déterrant les plants rabougris, il n'est pas rare de retrouver le sachet de polyéthylène toujours intact après dix années. Les services forestiers ont alors demandé que, après mise en terre du plant, le sachet soit déposé sous une pierre à coté du potet pour permettre la vérification en fin de journée.

Entretien des plantations

Après la plantation et l'opération de regarni, quelques arrosages d'appoint sont apportés en été et ceci à l'initiative des officiers encadreurs. Après trois années de surveillance, les terrains reboisés sont livrés aux services forestiers. Le problème de leur sauvegarde se pose alors car ces services n'ont ni les moyens humains, ni les moyens matériels pour l'assurer.

o Qualification du personnel
En 1982, après avoir dressé un bilan des opérations de reboisement, le minis- tère de la Défense nationale (réalisateur du barrage vert) décida d'affecter systématiquement au barrage vert des universitaires à profil particulier (ingénieurs forestiers, agronomes, écologues, pastoralistes, etc.). L'arrivée massive de ces jeunes officiers donna une impulsion nouvelle aux travaux de reboisement. Le service forestier trouva ainsi des interlocuteurs pour des expérimentations nouvelles et pour améliorer les techniques de reboisement. Le reste du personnel (récolteurs de graines, arroseurs, pépiniéristes, planteurs, etc.) fut recruté dans la masse des jeunes appelés sans qualification particulière. Après instruction militaire, ils furent affectés dans des centres de formation aux techniques forestières du service national, créés à cet effet à Boussâada, Djelfa, Batna.

o La mécanisation des plantations du barrage vert

L'importance des surfaces à planter (20 000 hectares/an) a poussé les services forestiers et les unités de réalisation à envisager la mécanisation des plantations. En 1982, les premières ex-
l'achat commencèrent après l'achat de cinquante tarières. Les premiers essais eurent lieu à El-Hamel (M'Sila), El-Allig et Slim (Djelfa). Ils donnèrent d'excellents résultats pour les plantations pastorales et fruitières. L'utilisation des tarières sur sols caillouteux et inclinés s'est avérée peu intéressante.

o La réception des plantations

La livraison des plantations a toujours été délicate car les forestiers considéraient que, quelquefois, les reboisements livrés présentaient un taux de réussite faible. Une convention interministérielle (ministères des Forêts et de la Défense nationale fut signée afin de faire augmenter le taux de réussite jusqu'à au moins 50 %, condition minimale pour intégrer les plantations dans le patrimoine forestier.

Conclusion
Quelle est alors la situation actuelle ? Suite à la note du 10 octobre 1990, et après vingt années d'implication dans le programme, le ministère de la Défense nationale se retire du barrage vert. Il est demandé au service forestier de prendre les mesures nécessaires pour la prise en charge totale du projet (réalisation et gestion) et pour pallier un éventuel arrêt des travaux. Tout le matériel se trouvant dans les unités de réalisation a été mis à sa disposition. L'administration forestière considère que l'apport de ce matériel devrait permettre d assurer le suivi des
opérations. Cependant, une bonne partie du matériel (60 %) est en panne et d'importantes dépenses seront nécessaires pour le remettre en état. L'aspect humain est à souligner, les services forestiers ne pouvant disposer, comme l'armée, d'une main-d'oeuvre aussi importante et gratuite. Quatre années après le départ des militaires, il y a arrêt total des plantations. Outre l'incendie qui a détruit quelques îlots (bandes routieres Boussâada-Dielfa) (photo 4), des coupes sont opérées dans les reboisements pour le bois de chauffage, de construction et même de menuiserie. Ces délits sont regrettables du fait qu'une bonne partie des plantations commence à fructifier (photo 5). Il est actuellement urgent de sauvegarder les réalisations en les surveillant pour empêcher leur destruction. Mais la promulgation de la loi sur l'orientation foncière et le discours politique développé pour la mise en valeur des régions semi-arides et arides en vue de l'autosuffisance alimentaire ne facilitent pas la tâche.

Certaines familles réclament les terres reboisées et il est quand même étonnant que, sur 3 millions d'hectares, seuls ces 120 000 hectares de plantations soient revendiqués. Mais, à l'insu de tout le monde et après arrachage des arbres, les terres sont mises en culture (photo 6). Si l'armée n'a pu reboiser que 120 000 hectares en vingt années, on peut se demander comment l'administration des forêts, avec des moyens plus faibles, arrivera à réaliser le programme ambitieux de 100 000 hectares par an qu'elle s'est fixé.

Il faut reconnaître que le barrage vert a été, pendant longtemps, un mythe et a été considéré comme un moyen suffisant pour lutter contre la désertification.

Il est évident que les reboisements, quelle que soit leur importance, ne peuvent enrayer ce phénomène. En réalité, la lutte contre la désertification ne peut se faire d'abord que par la mise en place d'un code pastoral tenant compte des données socio-économiques, seul barrage efficace contre le processus de désertification. Que cet exposé sur les zones steppiques ne nous fasse pas perdre de vue que, en Algérie du Nord, 20 millions d'hectares sont sujets à l'érosion et près de 40 000 hectares de terres fertiles sont emportés chaque année par les pluies torrentielles. La focalisation des dirigeants politiques sur le barrage vert a quelque peu fait oublier le phenomène de l'érosion au nord du pays : l'envasement de la presque totalité des barrages en est une preuve. L'effort perdu dans le reboisement en pins d'Alep des couloirs de transhumance, des terres privées, des terres pastorales, etc., aurait été profitable en Algérie du Nord.

Il reste cependant à valoriser, sur le plan scientifique, toute l'oeuvre accomplie et il est urgent de lancer un programme de recherches auprès de diverses institutions (nationales et internationales) pour faire un bilan scientifique réel et aborder tous les aspects soulevés le long du texte (le choix des essences, les zones d'impact, les techniques en pépinière, les densités de plantation, les données socio-économiques, etc.)

Résumé

Afin de lutter contre la désertification, vers les années 70, fut lancé en Algérie le programme du barrage vert qui consiste en une bande boisée de 1 200 kilomètres de long sur 20 kilomètres de large.

L'examen du bilan de vingt années d'efforts montre que l'on est en deçà des espoirs puisque, sur les 160 000 hectares de plantations prévus, seuls 120 000 hectares ont été réalisés, le taux de réussite n'étant que de 42 %.

Les aspects techniques et les données socio-économiques de la zone expliquent ces résultats.

En 1982, l'arrivée de jeunes appelés universitaires (forestiers, pastoralistes, etc.) donna une impulsion nouvelle aux travaux de reboisement. Malheureusement quelques années plus tard, au moment où la conception du projet prenait une nouvelle orientation, l'armée se retira, laissant derrière elle des plantations fragiles qu'il fallait impérativement protéger du pâturage, des coupes et des incendies. La loi de 1983 relative à l'accession à la propriété foncière en zone semi-aride ne facilitait pas la tâche.

De même qu'il est urgent de faire un bilan scientifique de toute l'ceuvre pour ne pas commettre les mêmes erreurs que par le passé et, surtout, afin de résorber le chômage, le Conseil des ministres du mois d'octobre 1994 a décidé la reprise des travaux du barrage vert.

Références
1. Grim S. Le préaménagement forestier. Gembloux : CEE, 1989 ; 181 p.
2. ANF. Le barrage vert : bilan et perspective. Alger : Agence nationale des forêts,
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3. Kadik B. Contribution à l'étude du pin d'Alep en Algérie (écologie, dendrométrie,
morphologie). Alger : OPU, 1987 ; 581 p.
4. Chaba B. Influence de la dimension des conteneurs en polyéthylène sur la croissance des semis de Pinus halepensis Mill. (pin d'Alep), Pinus pinea L. (pin pignon) et Cupressus sempervirens (cyprès vert) dans des conditions de pépinières. Mémoire ingénieur, Alger : INA, 1978 ; 80 p.
5. Lasledj S. Influence du rootage sur l'économie de l'eau dans les reboisements de Pinus halepensis Mill. (région de Djelfa). Mémoire ingénieur, Alger : INA, 1978 ; 59 p.
6. Chaba B. Étude du développement de jeunes plants de pin d'Alep (Pinus halepensis Mill.), conséquences pratiques pour les reboisements en zone semi-aride et aride.
Thèse magister, Alger : INA, 1983 ; 91 p. 250