LE DATTIER
Voici venue la saison des
dattes
Partout, aux devantures des magasins de primeurs, on voit s'amonceler
les longues boîtes rectangulaires où sont soigneusement
rangés les beaux fruits ambrés. Ils semblent, tant ils
sont encore lumineux, avoir conservé un peu de cet ardent soleil
du Sud, sous les rayons duquel ils ont mûri tout l'été,
et le long des minces branchettes desséchées, auxquelles
ils adhèrent, ils forment des gouttes de lumière blonde.
Quels grands voyages ne vont-elles pas entreprendre les petites boîtes
où ils sont couchés ? Elles s'en iront loin, vers les
pays du Nord, par delà les mers que tourmente le vent d'automne,
porter la saveur fondante de ces beaux fruits méditerranéens,
et leurs étiquettes, vivement colorées, chamarrées
de noms exotiques, ne manqueront pas d'évoquer la poésie
des oasis sahariennes, des palmiers sveltes éployés dans
un ciel toujours pur où rayonne un éternel printemps.
Sans le dattier, on ne saurait comprendre l'Orient. Toute la vie des
peuples orientaux tourne autour de lui.
Le dattier est un arbre connu depuis la plus haute antiquité.
A ses longs rameaux, d'une courbe si souple et si décorative,
appelés palmae, palmes, dès l'origine, s'attachait un
sens symbolique : c'était l'emblème et l'ornement du triomphe.
On s'en servait aussi dans la célébration des fêtes
païennes. Dans les bas-reliefs antiques représentant des
cérémonies religieuses, il est fréquent de voir
des théories de jeunes filles portant de longues palmes. D'ailleurs,
tous les peuples anciens empruntaient à la nature environnante
leurs motifs d'ornementation. On voit par là l'importance qu'avait
dans leur vie et dans leurs coutumes cet arbre bienfaisant, qui leur
procurait une nourriture substantielle et délicieuse. Plus lard,
les premiers chrétiens firent de la palme le symbole du martyre.
C'était pour eux le signe d'un triomphe éclatant. Ainsi
fut transformé le symbole païen.
La beauté et l'élégance du dattier, l'importance
et la variété des usages que l'on faisait de ses diverses
parties, les phénomènes curieux que présentent
sa végétation et surtout sa fructification, les récits
légendaires ou historiques auxquels il se rattache, ne devaient
pas manquer de captiver l'imagination des peuples anciens. Theophraste,
Pline, Dioscoride, Ovide, Claudien et bien d'autres Tout admiré
et chanté, il portait alors le nom de phnix dactylifera,
et le premier nom seul montre la haute estime dans laquelle on le tenait,
puisque ce nom dénote la croyance en une éternelle renaissance.
Quant à l'adjectif dactiylifera, du grec dactulos, ce n'était
que la notation osée d'une image, la disposition des fruits du
dattier rappelant la forme d'une main aux doigts innombrables.
Le dattier, dans ses premières années, présente
l'aspect d'un buisson. C'est un large bouquet de feuilles qui s'éploie
à ras de terre. Mais, peu à peu, une tige se forme, elle
s'allonge en colonne élancée et finit par atteindre une
hauteur de 25 à 35 mètres, en présentant, dès
l'origine, la grosseur qu'elle doit toujours conserver. Les feuilles
sont pétiolées, longues de 2 à 3 mètres,
divisées en un grand nombre de folioles en forme de lame d'épée,
disposées symétriquement des deux côtés de
la nervure médiane. .Au fur et à mesure que le dattier
grandit et s'ouvre dans le ciel, celles du bas tombent en laissant sur
la tige autant d'aspérités saillantes qui disparaissent
peu à peu. Mais les feuilles supérieures, baignées
par la lumière, caressées par le soleil, balancées
par la brise, se renouvellent chaque année et forment un gracieux
et vaste parasol qui couronne une tige, nue, cylindrique, droite ou
un peu infléchie. Rien ne peut donner alors une idée de
l'élégance et de la noblesse que. présente un palmier
solitaire se détachant à l'horizon sur le bord de la mer,
et rien de plus étrange aussi que les milliers de fûts
de colonnes qui s'élèvent dans le demi-jour troué
de flèches de lumière des palmeraies, comme à l'intérieur
d'un temple mystérieux.
Le dattier croît dans les régions chaudes. Il est très
répandu dans tout le pourtour du bassin méditerranéen
; mais, en Europe, ses fruits mûrissent mal et même pas
du tout. Il lui faut la chaleur violente du Sud. Le Nord de l'Afrique
lui offre à peine un climat assez chaud. C'est un fervent du
soleil.
Il se plaît dans les sables des oueds, sur le littoral arrondi
de la mer, sur les bords déserts des grands lacs salés.
C'est là qu'il acquiert son plus magnifique développement.
Il se propage par graine ou par rejeton, mais le dernier moyen de reproduction
est le plus pratique. En prenant les rejetons sur des dattiers femelles,
on est certain d'avoir des arbres du même sexe et qui portent
des fruits au bout de cinq ou six ans. Les Arabes plantent ces arbres
dans le voisinage des sources et des ruisseaux. Ils creusent autour
de chaque pied un petit fossé où ils font arriver l'eau
au moyen de rigoles, et de la terre humide, la tige s'élance
victorieusement vers le ciel. Bien que les pieds femelles soient les
seuls qui rapportent, les mâles sont indispensables pour assurer
la fécondation. Aussi, les dattiers mâles sont-ils l'objet
de soins assidus. Cette nécessité des pieds stériles
est connue de temps immémorial. Quand deux tribus étaient
en guerre, autrefois, chacune d'elles cherchait à détruire
les dattiers mâles de la tribu ennemie. Cependant, comme la fécondation
naturelle ne se produit, pas dans de bonnes conditions, on a recours,
pour obtenir un meilleur rendement, à la fécondation artificielle.
Les fruits ne sont pas l'unique avantage du dattier. Les tiges des sujets
âgés donnent un bois très dur qui se conserve longtemps
et que l'on emploie en madriers pour les constructions.
Du stipe des jeunes sujets, on retire un liquide nommé vin de
palme, très agréable à boire.
Les jeunes feuilles forment un bourgeon que l'on mange. C'est ce que
l'on appelle le chou palmiste.
Les feuilles et les jeunes spathes, soumises à la macération,
donnent une filasse résistante qui sert à faire des cordes
et des tissus grossiers.
Découpées en lanières, elles sont employées
pour la fabrication des nattes, des corbeilles, des éventails
et des chapeaux.
Devant tant d'usages divers, on comprendra aisément que toutes
ces applications aient contribué à faire regarder le dattier
comme un des plus beaux cadeaux que la nature ait fait aux peuples orientaux.