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Les Vendanges
Après le pessimisme
l'optimisme.
Il y a quelques semaines à peine, les propriétaires-viticulteurs
paraissaient fort soucieux et difficilement abordables par suite de
l'effondrement des cours des vins, de la mévente qui en résultait
et de la perspective d'une nouvelle récolte à loger, alors
que les cuves étaient pleines de celle de l'année précédente.
Tout le commerce algérien se ressentait de ce malaise. Les affaires
présentaient un arrêt absolu et les voyageurs qui visitaient
la clientèle viticole ne notaient plus d'ordre. On ne voyait
plus, sur les routes, les gros camions de transport véhiculant
des fûts. Les entrepreneurs de labour se trouvaient en plein chômage.
Les maladies d'estomac, de reins, de foie, la goutte, les rhumatismes
n'existaient sans doute plus, car personne ne parlait de cures à
Evian, Vichy, Vittel, ou ailleurs. On se contentait, le soir venu, d'écouter
Radio-Alger et autres radio-concerts.
Les viticulteurs passaient de sombres journées dans leur villa
ou maison d'habitation, espérant toujours une amélioration
des cours. Certains d'entre eux, de nos amis, gardèrent cependant
une confiance inébranlable. Est-ce le pressentiment des événements
qui devaient se produire, est-ce une foi aveugle en les destinées
heureuses de la terre algérienne, ils conservèrent intact
leur optimisme de jadis.
Bref, c'était tout de même le marasme complet.
Depuis la hausse, la reprise des transactions sur les vins, la perspective
d'une bonne récolte, la physionomie des choses précitées
a changé du tout au tout.
L'optimisme le plus joyeux a fait place aux jours sombres et le commerce
en général reprend de son activité. Comme les escargots
après les premières pluies, les voyageurs et courtiers
reprennent avec une nouvelle ardeur leurs visites et sont reçus
avec plus d'aménité.
De lourds camions de vin sillonnent toutes les routes. Les défonceuses
entament un peu partout et profondément de nombreux hectares
de terre. Les dyspepsies, gastralgies, gastrites, hépatites et
autres maladies du foie, des reins ou d'articulation ont fait leur apparition
annuelle mais retardée. Nombreux sont, en effet, les propriétaires
qui se sont vus obligés d'aller faire une cure dans les villes
d'eaux appropriées à leur cas.
Les vendangeurs.
Le temps particulièrement favorable à une bonne bonne
prompte maturation a avancé le commencement des vendanges. Dans
de nombreuses propriétés du littoral et de la plaine l'activité
bat déjà son plein.
Au cours de voyages dans le département, nous nous sommes arrêtés
en différents endroits pour assister aux joyeuses scènes
de vendanges qui se déroulent généralement dans
l'allégresse.
A l'intention de nos lecteurs nous avons fait prendre une série
de photographies qui illustreront les quelques lignes qui vont suivre.
Les procédés modernes.
Que nous sommes loin des méthodes de jadis, méthodes que
nous voyons encore utiliser dans certaines régions méridionales
de la Métropole !
Une cave algérienne est une véritable usine où
les procédés les plus modernes de vinification ont contribué
à l'excellente réputation de nos vins. Les vendanges sont
elles-mêmes industrialisées afin d'obtenir, avec un gros
rendement, un produit de qualité.
La culture de la vigne mériterait, d'abord et à elle seule,
un long chapitre, car les colons algériens savent utiliser les
plus récents perfectionnements de la motoculture spécialement
adaptée aux vignobles.
Un coup d'il sur ces derniers et on remarque en plus de la magnifique
végétation la belle ordonnance de plantations longuement
espacées pour permettre que tous les travaux se fassent mécaniquement
et par tracteurs. On admire également la belle tenue des terres
qui, jusqu'aux vendanges, sont scarifiées et où l'on ne
voit pas une herbe.
Mais occupons-nous pour aujourd'hui uniquement des vendanges.
Le recrutement des vendangeurs.
Avec la pénurie actuelle et générale de main-d'uvre,
le recrutement des vendangeurs est devenu une chose laborieuse et même
difficile surtout pour les grands domaines où il faut plusieurs
centaines d'hommes.
Nombreux sont les propriétaires du département qui vont
chercher le personnel dont ils ont besoin en Kabylie, dans les monts
du Djurdjura, du Dahra, de l'Ouarsenis ou la plaine du Chéliff.
Dans ces régions, il y a certains indigènes qui se sont
spécialisés comme intermédiaires dans ce recrutement
et qu, moyennant une prime, procurent dix, vingt, cinquante ou plusieurs
centaines d'hommes suivant les contrées.
Chaque équipe est dirigée par un chef bénévolement
reconnu par ses compagnons et qui seul discute les conditions de travaux
et d'embauche.
Ces équipes sont ensuite transportées sur les lieux de
travail, aux frais du propriétaire, par camionnettes, camions
auto ou chemins de fer.
Elles sont logées dans la ferme ou ses dépendances. Un
des leurs est désigné par eux pour assurer le ravitaillement
et faire la cuisine, quand il y a lieu.
Nous disons bien quand il y a lieu, car leur nourriture principale est
le raisin. Certains propriétaires ou chefs de culture nous ont
affirmé que chaque vendangeur mangeait, en moyenne et par jour,
de trois à quatre kilogs de raisin !
Pour une cure de fruits frais, c'en est une !...
La façon d'opérer.
Les vendangeurs sont répartis par chantiers.
Dans de nombreux vignobles on met deux coupeurs par rang qui alimentent
le porteur de hotte. Ce dernier transporte son contenu à la pastière
qui s'arrête dans les " tournières ". Dans les
grands domaines, et comme le montre une de nos photos, ce sont des ânes
qui, portant deux hottes, circulent dans les rangs et viennent remplir
les pastières. On remarquera sur cette gravure le système
de balancier amovible, fixé sur la pastière, pour faciliter
le déchargement des ânes.
Chaque chantier est placé sous la surveillance d'un chef dont
on entend fort souvent les interpellations.
Les pastières.
En ce qui concerne les pastières et suivant l'importance de la
propriété et la richesse en chevaux, mulets, bufs
ou tracteurs, on emploie des véhicules de différentes
capacités.
Dans le domaine où nous avons pris la plupart des photographies,
on emploie près de 1.000 vendangeurs et ouvriers et- plus de
80 pastières sont en travail. Les capacités varient entre
12 et 15 quintaux pour celles tirées par les bêtes. Celles
remorquées par tracteur à chenilles transportent d'un
seul coup 45 quintaux environ et font trois à quatre fois plus
de voyages que les autres, à cause surtout de leur rapidité
et de la facilité d'évolution.
L'arrivée des pastières à la cave est ordonnée
par un européen spécialisé qui, suivant les cépages,
fait déverser dans des conquêts différents.
Des conquêts les raisins passent dans les fouloirs-égrappoirs
rotatifs à grand débit qui envoient les grains foulés
et le jus à la pompe à moûts et rejette les grappes,
absolument et proprement dépouillées, sur un chemin roulant
où elles sont dirigées vers un pressoir hydraulique.
La pompe à moûts refoule, suivant la nature des raisins,
la qualité et la couleur des vins que l'on veut obtenir, soit
directement dans les cuves de fermentations soit au préalable
sur des égouttoirs.
La cave elle-même présente au milieu de bruits une activité
fébrile. On se rend compte que tout a été préparé
soigneusement pour donner au vin cette grande sécurité
qu'est la propreté.
Dans les cuves, où domine le bouillonnement des moûts et
d'où s'échappent des émanations capiteuses qui
grisent rapidement le visiteur, s'élabore le pur nectar de Bacchus.
La campagne algérienne a repris désormais sa belle physionomie
d'autrefois. En cette saison où les chaleurs commencent à
devenir moins fortes, où les vignobles sont ventés par
une brise plus fraîche, le spectacle des vendanges dans la plaine
et sur les coteaux marquent la joie nouvelle du travail heureux.
F. N. B.