l'Agha - Alger
L'entreprise des Transports Scotto
revue du gamt n°56, 1996/4
sur site le 7-2-2003

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-----Au milieu d'un tourbillon de poussière, nous voyons apparaître un camion tiré par de superbes chevaux et conduit par un charretier habile, au visage bronzé sous le béret bleu tendre ; un véritable monticule de tonneaux repose sur le plateau du véhicule. Comme nous nous inquiétons de la provenance de ce camion, notre compagnon nous répond
-----C'est un des équipages de la maison Scotto, de l'arrière-port de l'Agha. Cette entreprise de transports, dont la fondation remonte à 1893, répond à un véritable besoin, c'est ce qui fait qu'elle ne saurait être atteinte par la concurrence cependant fort active des véhicules à traction mécanique.
-----Certes, la vue de cet équipage évoluant au bruit des sonnailles et des claquements du fouet, parmi la marche silencieuse des automobiles, du halètement des locomotives, du ronflement des tramways électriques, est d'un archaïsme un peu outré, mais pour nous autres, vieux algériens, elle évoque un monde de souvenirs heureux.
-----Nous revoyons les anciennes plages que les immenses terres-pleins ont recouvertes, les anciens bains de Mustapha, véritable grenouillère où tout un peuple en liesse venait s'ébrouer le dimanche. C'était l'époque de la vie facile et à bon marché...
-----Les rampes d'accès n'existaient pas, les eucalyptus penchaient leurs chevelures sur les portes d'Isly, la mer venait battre la côte à quelques mètres de la gare de l'Agha.
-----Un monde, maintenant dispersé, disparu, se mêlait, s'agitait au grand soleil, dans une orgie de bruit, de mouvement et de lumière : mulets de bât aux harnachements rouges, chargés de sable et de gravier, lourdes galères geignant et grinçant sous le poids, d'invraisemblables quantités de pierres, "corricolos" aux peintures bizarres emplis de voyageurs aux vêtements bariolés, aux coiffures inattendues, troupeaux d'ânes et de moutons, caravanes de dromadaires et de chameaux.
-----Aujourd'hui certes les choses sont changées ; l'aspect des quais d'Alger se modifie ; il prend un caractère qui le rapproche de plus en plus de celui des grands cités maritimes.
-----Mais nous sommes loin encore à beaucoup d'égards, de posséder un outillage semblable à celui de la Métropole.
-----D'abord, ne croyez pas que le réseau ferroviaire soit suffisant même dans la Mitidja où les lignes à voie normale ou à voie étroite se croisent et s'enchevêtrent à l'envi. Je pourrais vous citer de nombreuses entreprises agricoles, de nombreuses propriétés qui se trouvent encore très éloignées de toute gare. Celles-là doivent renoncer à l'emploi du wagon pour expédier ou recevoir leurs produits et leur matériel, surtout leurs fûts vides. Il s'ensuivrait des manipulations sans fin, des pertes de temps et de parcours dont la cherté de tout proscrit impitoyablement la tolérance. Restent les véhicules automobiles relativement coûteux et plutôt qualifiés pour le transport de marchandises lourdes et peu encombrantes que pour celui de récipients de grandes dimensions et de poids légers.
-----En outre, le véhicule à traction animale est d'une direction plus facile, d'un emploi plus souple que le camion à moteur qui ne peut perdre aucun instant en arrêts et doit effectuer, pour donner à son propriétaire un rapport suffisant, un nombre de kilomètres assez élevé dans la journée. .
 

-----Il reste donc, quoiqu'on dise, un certain nombre de cas - non moins fréquents d'ailleurs - où l'emploi de la traction animale s'impose encore en dépit des progrès quotidiens des modèles des véhicules à moteur.
-----Voilà d'où vient la vogue de la maison Ch. F. Scotto qui, fondée depuis longtemps déjà, a recruté une clientèle fidèle et nombreuse ayant eu trop à se louer de son concours pour rechercher jamais d'autres transporteurs à qui confier ses vins, ses céréales ou son matériel. Au moment où précisément d'autres se fussent découragés, M. Ch. F. Scotto a redoublé d'activité et vous avez pu voir, par l'allant de l'équipage que nous avons rencontré, avec quelle vigueur les affaires sont conduites.
-----La cavalerie de la maison fait plaisir à voir ; les animaux appartiennent aux meilleures races de trait ; les fardiers, les harnais sont entretenus avec un soin tout particulier et on devine que la maison Scotto entend traiter ses chevaux et ses mulets, non seulement avec l'humanité qu'il convient de voir présider au traitement de "nos frères inférieurs", mais encore avec un rare et constant souci de leur bien-être.
-----Les écuries où la plus entière propreté est de rigueur sont aménagées selon les règles les plus minutieuses de l'hygiène et c'est ainsi que, malgré un rendement sérieux et un travail intensif, les épizooties sont inconnues de la maison Scotto.
-----Ce serait une superfétation de dire que la nourriture est l'objet des préoccupations constantes de la direction, non seulement au point de vue de l'abondance, mais aussi de la qualité et de la nature des aliments.
-----Il en résulte, pour les chevaux et mulets, une endurance et une vigueur qui font la joie des charretiers et l'étonnement des usagers.
Je le répète, la maison Scotto s'est fait une spécialité du camionnage des fûts et de comportes vides, marchandise encombrante et dont les véhicules automobiles ne sauraient entreprendre raisonnablement le transport.
-----J'ajouterai que non seulement cette entreprise assure ces transports, mais encore elle se charge de toutes les opérations qui peuvent être nécessaires. En un mot, il suffit d'indiquer clairement ce que l'on désire pour être servi d'une manière irréprochable, rapide et peu coûteuse.
-----Il est donc permis de dire que la maison Scotto occupe, parmi les entreprises de transports auxquelles le développement des ports et les nécessités du moment ont donné un caractère d'utilité et d'importance inéluctables, une situation tout à fait à part. Elle aussi répond à un véritable besoin et cela démontre qu'on ne saurait même en nos temps de modernisme à outrance faire fi des choses du passé...

Extraits de presse dans les années... 20... ?
transmis par Yvette VILLETTE Adh N° 580