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site le /2002
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-------La
Cantère, au nord d'Alger, avait déjà son pendant, au
sud, dans cette agglomération populaire, qui s'étend tout
le long du littoral et qui, depuis près d'un demi-siècle,
n'a cessé de se développer : population surtout provençale,
languedocienne et italienne, à laquelle se mêlaient quelques
Espagnols. -------En sortant de la rue de Constantine, après avoir franchi les fortifications et la zone militaire, on tombait dans des terrains vagues aux pentes caillouteuses, qui, d'un mouvement rapide, descendaient vers la mer. C'était le quartier de l'Agha, qui, si j'en crois de vieilles gravures, datant du règne de Louis-Philippe, n'a jamais été bien riant. Il y a quarante ans, toute trace de végétation avait disparu. Rien que des fours à chaux, comme on en voit aux portes de toutes les villes d'Orient, un sol creusé et bouleversé, coupé de petits sentiers de chèvres et, témoin d'une époque disparue, une fontaine turque, qui tombait en ruines et qui depuis longtemps ne donnait plus d'eau. -------En contre-bas, se trouvait un établissement aquatique, alors très fréquenté : les bains de mer de l'Agha, lesquels répondaient aux bains de Bab-el-Oued, de l'autre côté de la ville, établissement non moins fameux et dirigé par un Mahonnais, portant le nom farouche de Matarès et terrible aux nageurs inexpérimentés. -------Les bains de l'Agha comprenaient non seulement des cabines, mais une buvette et un restaurant en plein air, où le beau monde se donnait rendez-vous pendant les chaudes soirées du mois de juin, avant les grands départs «pour France», comme disaient les Algérois. -------On dînait là sur une terrasse en bois qui dominait la mer, on y mangeait d'excellent poisson et des bouillabaisses à faire pâlir de jalousie celles de Marseille. Dans la chaleur des photophores que tempéraient la brise marine et un commencement de fraîcheur nocturne, on s'éternisait devant les petits verres et les boissons glacés et l'on rentrait en ville dans des barques de pêcheurs ou de bateliers indigènes qui, sur la plage, attendaient le client. Les soirs de lune, le spectacle du port et de la ville illuminée était féerique. -------Au delà des bains, commençait une longue rue faubourienne, poussiéreuse et débraillée, qui aboutissait au Champ de Mars, à l'Arsenal et aux casernes de cavalerie. C'était grouillant et coloré, extrêmement intéressant pour l'observateur comme pour le peintre de moeurs. On retrouvait là, dans cette poussière et cette aridité africaine, de petits coins de France qui vous étaient comme une salutation amicale. Le long du Champ de Mars,commençait une zone lyonnaise appelée encore aujourd'hui Belcourt, (ndlr : la place Belcourt connue de tous les Lyonnais existe encore,avec la statue équestre de Louis XIV) avec des logis et des cafés qui évoquaient certaines rues de Vaise ou de la Guillotière. Plus loin, une enclave auvergnate, dénommée Nouvel-Ambert. Au milieu de tout cela, une population sensiblement différente de celle de Bab-el-Oued.-------Mais l'ordinaire touriste ne voyait dans cette longue rue, quelque peu sordide ,et débraillée, qu'une avenue désagréable à traverser pour se rendre au jardin d'Essai. -------Ce célèbre jardin, créé dès les premières années de la conquête, a mérité de bonne heure sa réputation. A la fois pépinière et promenade publique, il éblouissait le visiteur par la luxuriance de sa végétation et par toute une variété de plantes exotiques. Depuis, il a été agrandi et embelli. Mais je regrette sa simplicité débonnaire, son aspect encore à demi rustique, le petit café maure près de la fontaine lambrissée de faïences et surtout les magnifiques platanes qui formaient une vaste tente de verdure, haute comme une voûte de cathédrale, au-dessus de ce lieu de fraîcheur, tout plein de ramages d'oiseaux et d'eaux courantes et murmurantes. Et je regrette aussi les retraites secrètes au bout du jardin, les petites rotondes où l'on pouvait s'isoler sur un banc, dans l'ombre criblée de soleil des ficus monstrueux, ou devant un bassin minuscule envahi par les papyrus et les capillaires. -------En dépit des embellissements, le Jardin d'Essai a conservé ses splendeurs végétales, ses allées de bambous et de dracénas, ses tapis de roses au printemps, et, à son extrémité qui touche à la mer, cette petite oasis de palmiers, d'où l'on a une vue incomparable sur le golfe, sur le port et sur Alger, qui a l'air d'une ville toute en marbre blanc. Les soirs d'automne et de printemps, au crépuscule, devant cette toile de fond merveilleuse, on assiste à des jeux de lumière, à des féeries blondes et mauves, mauves surtout, dont les nuances et la douceur sont infinies... |