l'Agha - Alger
Les étudiants ont enfin leur maison.
bd Baudin
Afrique illustrée du 29-6-1935 - Transmis par Francis Rambert

Avec une grande courtoisie, M. Jacques Belleteste, qui est l'un des dirigeants de l'Association des étudiants s'offre à me servir de guide dans le vaste et confortable hôtel où s'assemblent chaque jour, pour le travail, les repas ou le plaisir les escholiers de l'Université d'Alger. Au temps déjà lointain que j'étudiais moi-même, nous tenions nos estats, comme dit Villon, dans quelque sous-sol de brasserie qui puait la bière chaude et la fumée froide de cigarette et devions lors, pour complaire au patron, perpotare liberaliter, entendez, boire d'autant, et renouveler la consommation maintes fois dans la soirée. Bien ou contraire, les réunions de nos camarades, maintenant installés dans leurs meubles, sont sèches, quoique les colloques y soient aussi animés que par le passé, et l'éloquence y est aussi prisée et d'aussi bon aloi que jadis, à l'époque où Paul Saurin, qui depuis fut sénateur du département d'Oran, présidait à nos destinées.

J'acceptai de grand cœur de suivre mon compagnon à la maison, que dis-je, au palais du boulevard Boudin, qui a cet intérêt d'avoir été construit, de la cave à la terrasse, pour une destination précise : abriter, au sortir des cours de facultés, plus d'un millier de jeunes gens ; tout ici fut fait pour leur confort et leur commodité. Il a fallu, pour passer du désir à l'acte, non seulement la ténacité et l'énergie de plusieurs générations d'élèves, mais aussi l'aide sonnante et trébuchante des Pouvoirs Publics. Il est d'ailleurs indispensable, pour qu'une communauté de ce genre demeure prospère, qu'elle groupe le plus grand nombre possible d'affiliés. Il est à espérer que les étudiants de demain ne permettront pas à l'œuvre de leurs aînés de péricliter. Je suis convaincu que l'enthousiasme qui édifie et maintient ne leur manquera point et que les esprits dissolvants ou chagrins, détracteurs et démolisseurs d'initiatives ne se rencontreront pas parmi eux. Ce sont les dissensions intestines qui ont provoqué à Paris la décadence de l'Association Générale et son expulsion du beau local qu'elle occupait au Quartier Latin. Mais les Algériens connaissent par expérience les avantages de l'union, de la discipline et de l'ordre dans l'effort.
La Maison des Étudiants d'Alger est un des plus beaux édifices d'Alger, aux façades à longues lignes horizontales, simples et imposantes que de grands balcons de maçonnerie soulignent sans les alourdir. Il y a peu de flâneurs dans les vestibules et les corridors ; nous sommes en temps d'examens, et l'on n'aperçoit autour de soi que gens affairés et visages attentifs ou soucieux. Presque tout le rez-de-chaussée est occupée par la salle de réunions, où se donnent les fêtes et où l'on discute en assemblée les intérêts généraux de la corporation. Elle est encombrée aujourd'hui par quantité de tables garnies de coupes à Champagne. C'est qu'en effet devait s'y tenir la séance inaugurale du Syndicat professionnel des peintres et sculpteurs algériens ; la cérémonie fut soudain contremandée à la nouvelle de la mort subite du Ministre de l'Éducation Nationale. Un escalier latéral permet d'accéder aux vestiaires et aux lavabos ménagés dans le premier sous-sol. La construction comporte plusieurs étages situés au dessous du niveau du boulevard Baudin, éclairés pnr des baies donnant sur les quais et le port, et destinés à être loués à des commerçants ou à des industriels. A cause de la dureté des temps ces locaux ne sont pas encore occupés.
Aux étages supérieurs ont été édifiés :


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juin 2021

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Les étudiants ont enfin leur maison.
Les étudiants ont enfin leur maison.

La Maison des Étudiants

Avec une grande courtoisie, M. Jacques Belleteste, qui est l'un des dirigeants de l'Association des étudiants s'offre à me servir de guide dans le vaste et confortable hôtel où s'assemblent chaque jour, pour le travail, les repas ou le plaisir les escholiers de l'Université d'Alger. Au temps déjà lointain que j'étudiais moi-même, nous tenions nos estats, comme dit Villon, dans quelque sous-sol de brasserie qui puait la bière chaude et la fumée froide de cigarette et devions lors, pour complaire au patron, perpotare liberaliter, entendez, boire d'autant, et renouveler la consommation maintes fois dans la soirée. Bien ou contraire, les réunions de nos camarades, maintenant installés dans leurs meubles, sont sèches, quoique les colloques y soient aussi animés que par le passé, et l'éloquence y est aussi prisée et d'aussi bon aloi que jadis, à l'époque où Paul Saurin, qui depuis fut sénateur du département d'Oran, présidait à nos destinées.

J'acceptai de grand cœur de suivre mon compagnon à la maison, que dis-je, au palais du boulevard Boudin, qui a cet intérêt d'avoir été construit, de la cave à la terrasse, pour une destination précise : abriter, au sortir des cours de facultés, plus d'un millier de jeunes gens ; tout ici fut fait pour leur confort et leur commodité. Il a fallu, pour passer du désir à l'acte, non seulement la ténacité et l'énergie de plusieurs générations d'élèves, mais aussi l'aide sonnante et trébuchante des Pouvoirs Publics. Il est d'ailleurs indispensable, pour qu'une communauté de ce genre demeure prospère, qu'elle groupe le plus grand nombre possible d'affiliés. Il est à espérer que les étudiants de demain ne permettront pas à l'œuvre de leurs aînés de péricliter. Je suis convaincu que l'enthousiasme qui édifie et maintient ne leur manquera point et que les esprits dissolvants ou chagrins, détracteurs et démolisseurs d'initiatives ne se rencontreront pas parmi eux. Ce sont les dissensions intestines qui ont provoqué à Paris la décadence de l'Association Générale et son expulsion du beau local qu'elle occupait au Quartier Latin. Mais les Algériens connaissent par expérience les avantages de l'union, de la discipline et de l'ordre dans l'effort.
La Maison des Étudiants d'Alger est un des plus beaux édifices d'Alger, aux façades à longues lignes horizontales, simples et imposantes que de grands balcons de maçonnerie soulignent sans les alourdir. Il y a peu de flâneurs dans les vestibules et les corridors ; nous sommes en temps d'examens, et l'on n'aperçoit autour de soi que gens affairés et visages attentifs ou soucieux. Presque tout le rez-de-chaussée est occupée par la salle de réunions, où se donnent les fêtes et où l'on discute en assemblée les intérêts généraux de la corporation. Elle est encombrée aujourd'hui par quantité de tables garnies de coupes à Champagne. C'est qu'en effet devait s'y tenir la séance inaugurale du Syndicat professionnel des peintres et sculpteurs algériens ; la cérémonie fut soudain contremandée à la nouvelle de la mort subite du Ministre de l'Éducation Nationale. Un escalier latéral permet d'accéder aux vestiaires et aux lavabos ménagés dans le premier sous-sol. La construction comporte plusieurs étages situés au dessous du niveau du boulevard Baudin, éclairés pnr des baies donnant sur les quais et le port, et destinés à être loués à des commerçants ou à des industriels. A cause de la dureté des temps ces locaux ne sont pas encore occupés.
Aux étages supérieurs ont été édifiés :

Une spacieuse salle de restaurant qui permet à plusieurs centaines d'étudiants de prendre, à prix doux, des repas convenables ; je visite les cuisines, bien éclairées et fort propres ;

Au rez de chaussée est une salle d'audition où se donnent des concerts, des représentations théâtrales, des conférences ; l'une de ses extrémités est pourvue d'un plateau ; l'extrémité opposée porte une galerie et une cabine de projections cinématographiques.

De nombreuses salles d'étude réservées au droit, à la médecine, aux étudiants musulmans, aux élèves des médersas, à divers groupes. Un très beau laboratoire de pharmacie est fréquenté avec assiduité par une cinquantaine d'élèves qui y procèdent à diverses manipulations. En passant devant une pièce dont la porte est fermée nous entendons le bruit d'un concert ; elle est occupée par des jeunes filles, me confie M. Belleteste, qui célèbrent en dansant entre elles leur succès aux examens de la Faculté.

Plus loin est la bibliothèque, fort bien garnie de livres. On me conduit dans les bureaux attribués aux services administratifs, dans le cabinet du président, dans la salle du Conseil ; partout règnent l'ordre et la bonne entente. A la salle de café quelques hôtes sont reçus par leurs amis ; des joueurs de bridge se livrent bataille autour d'une table ; dans un groupe on échange des impressions sur le tempérament et l'aménité des examinateurs, on félicite les copains qui franchirent le Rubicon ; on console ceux qui échouèrent à un concours difficile.

Nous traversons, sans nous y arrêter, les appartements attribués au très important groupe sportif universitaire, le R.U.A. Il est orné de quantité de trophées, souvenirs de victoires remportées par nos athlètes dont la vigueur, l'entraînement, la méthode et le mordant se sont souventes fois affirmés sur les stades d'Algérie, de France et d'Europe.
Quelques pas plus loin nous entrons dans la salle de rédaction " d'Alger-Étudiant ", qui est à la fois un organe corporatif des mieux compris et un périodique d'excellente tenue littéraire, rédigé avec soin et illustré avec goût.

Enfin, juste au dessous des terrasses s'ouvrent les salles d'escrime et de gymnastique. A cette heure deux eu trois éphèbes aux muscles harmonieux et puissants se livrent à des exercices d'assouplissement rationnel et ne s'inquiètent nullement de notre présence que je juge indiscrète.

Je termine la soirée chez le très cordial administrateur de la maison, qui me convie à déguster un verre de Staouéli en compagnie de deux charmantes jeunes filles qui en finirent ce soir avec leurs examens, et de M. Belleteste. Nous sommes rejoints par M. Narbonne, président de l'Association, qui a pris à cœur d'assumer une tâche pénible et parfois ingrate et l'accomplit à la satisfaction de tous. Il me réserve l'accueil le plus exquis ; nous entrons tout de suite en sympathie. Il m'expose, dans un langage élégant et précis, nourri de faits, d'exemples et d'idées, l'historique de l'institution à laquelle il s'est dévoué, les difficultés qu'elle rencontra, les préventions à vaincre, les tracas matériels qui l'assaillirent. A cette besogne, ses camarades et lui ont mûri leur esprit, et acquis, dans la conduite d'une collectivité d'intellectuels, la connaissance, à l'occasion décevante, des hommes. Le courage, ou surplus, ne leur a jamais manqué.

Quant à moi, je suis surpris, et ai la pudeur de ne point le montrer, de l'heureuse influence qu'a, sur l'attitude, le moral et le vocabulaire de nos jeunes gens, la fréquentation des jeunes filles ; sérieuses et réfléchies, souvent plus acharnées au travail que leurs camarades de cours, elles ont introduit un esprit nouveau et un charme peut-être sentimental, dans l'Université et qui lui faisait autrefois défaut. Ce n'est point sans rougir que je me remémore les propos de haulte gresse de mes années d'étude et qui nous étaient chers. Ceci ne signifie pas que de nos jours les parvis des Facultés soient comparables aux salons des Précieuses du XVII° siècle, mais on y est moins grossier à coup sûr que de mon temps.