sur site le 5-10-2003
-Après les bombes et les lampadaires
le terrorisme joue son va-tout au Casino de la Corniche

(Historia Magazine : la guerre d'Algérie, N° 228/35– 15 mai 1972)

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------Alger, dans toute sa splendeur, au moment où Yacef Saadi, dans toute sa fureur d'avoir perdu la première manche de la " bataille ", décide de jouer la carte terroriste à outrance. Alors recommence, dans la Ville blanche, le temps du sang et de la violence. Programme de Yacef : faire peur à tout prix Objectifs arrêts de tramways, pistes de danse. Jour J :3 juin 1957.

-----Au 31 mars 1957, quand s'achève la " bataille d'Alger ", il ne reste pas grand-chose de l'organisation politico-militaire du F.L.N..
-------La mort de Ben M'Hidi et la fuite des autres membres du C.C.E. ont fait de Yacef Saadi le patron de la zone autonome d'Alger.
-------Le premier problème qui se pose à Yacef Saadi est d'établir des liaisons avec ses supérieurs, qui se trouvent quelque part entre la Kabylie et la Tunisie. Dans
la Casbah, qu'il n'a jamais quittée, la sécurité est bien plus précaire qu'avant. La ville arabe a été découpée en quartiers, îlots, blocs d'immeubles par le D. P. U.
-------En dépit de ces difficultés, l'ex-boulanger, à qui la ruse n'a jamais manqué, parvient à rassembler autour de lui une sorte d'état-major restreint. Chaque membre se voit confier un rôle bien déterminé. Ali la Pointe, dont la photographie a été souvent à la " une " des journaux algérois, reste chargé des groupes de choc. Il sera assisté de Hassiba Bent Bouali. La jeune intellectuelle suivra l'ex-souteneur jusque dans la mort. Si Mourad, de son vrai nom Debih Chérif, dépanneur d'appareils électroménagers dans le " civil ", s'occupera à titre provisoire de l'organisation politico-administrative. Plus tard, il deviendra l'un des responsables du réseau " bombes ". Pour l'heure, ce réseau Reda, qui constituera une petite équipe de neuf hommes inconnus de Yacef Saadi.

-------Les tueurs de Yacef Saadi agissent, parfaitement déguisés en employés du gaz et de l'électricité
-------Dépanneurs, monteurs du gaz et de l'électricité, en Algérie, étaient souvent des musulmans. Rien de plus facile, pour le F.LN., que de se procurer leurs bleus de travail et leurs casquettes et d'en habiller le commando qui posera, sans attirer l'attention, ses bombes dans des socles de lampadaire.
-------Les clefs? Facile aussi. Et au jour J, dans la matinée, le commando, travesti en équipe de paisibles agents de l'E.G.A., opère tranquillement en plein soleil, sous œil d'une foule
confiante. Les bombes sont réglées pour éclater à l'heure de pointe,
entre 18 h 25 et 18 h 30 : 8 morts.

-------Ce dernier prend Kamel (Hadji Othmane) pour adjoint militaire et garde près de lui, en qualité de secrétaire, Djamila Bouhired et Zohra Drif. Son neveu Petit-Omar, un garçon de douze ans, assurera les liaisons. Dans les semaines qui suivent, le chef de la Z.A.A. récupère quelques rescapés : Hafaf Arezki, dit Houd, le responsable des liaisons et renseignements; Skander Noureddine et Benhamida Abderrahmane, deux anciens des groupes armés; Alilou, ancien proxénète, comme Ali la Pointe, qui servira plus tard dans les " bleus de chauffe " du capitaine Léger, et enfin Ghandriche Hassan, un copain de football de 1943.

-------Vers la fin du mois d'avril, Yacef Saadi a rétabli les liaisons avec le C.C.E. Sa nouvelle organisation terroriste est prête à entrer en action. Elle est plus souple, plus légère et mieux cloisonnée que la précédente. Son chef a su tirer les leçons de la première " bataille d'Alger Il s'agit maintenant de lancer une nouvelle
vague d'attentats pour montrer aux Français qu'à Alger le F.L.N. est loin d'avoir désarmé malgré les parachutistes.

-------Reprendre le combat en frappant la population civile, c'est aussi une nécessité politique pour contrebalancer l'action psychologique du 5è bureau au sein de la masse musulmane. Et puis il y a également, chez Yacef Saadi, l'impérieux besoin de prendre une revanche personnelle sur Massu. Un besoin que partagent tous ceux qui forment autour de lui le dernier carré et que Taleb Abderrahmane, le chimiste de la première " bataille d'Alger ", réfugié en wilaya 4 (Algérois), a exprimé en ces termes dans une lettre qu'il a fait parvenir à Yacef
-------" Je n'ai qu'un espoir, c'est qu'un jour j'aurai la possibilité de jouer la seconde manche avec Massu. Il ne perd rien pour attendre, le salaud ! "

-------Cette seconde manche ne s'engagera véritablement qu'au début du mois de juillet. En attendant, deux événements, très différents l'un de l'autre, vont sérieusement préoccuper Robert Lacoste. Au mois d'avril, la tension, qui était tombée avec la quasi-disparition des attentats terroristes, remonte brusquement dans les milieux européens. On annonce en effet pour le 23 avril l'arrivée à Alger d'une commission privée du parti de Mendès-France pour enquêter sur les tortures...

-------Aussitôt, c'est un vent de colère qui souffle dans toutes les associations d'anciens combattants, d'étudiants, les groupements " Algérie française

-------Devant la menace des troubles que provoquerait l'arrivée des " enquêteurs " de la rue de Valois, le ministre résidant estime plus sage de leur interdire le voyage d'Alger.

D'étranges dépanneurs

-------L'autre événement se situe au début du mois de mai. Il sera plus ou moins étouffé par le Gouvernement général. Tout commence par un attentat. Chemin Polignac, dans le quartier du Ruisseau, vers minuit, deux terroristes abattent à coups de revolver deux parachutistes qui regagnent leur cantonnement après une soirée au cinéma. Sitôt informés, leurs camarades décident une action punitive pour les venger. Guidés par un membre du D.P.U. qui croit savoir qu'un certain bain maure abrite des terroristes, les paras enfoncent la porte de l'établissement, qui se transforme la nuit en asile pour les " clochards " du coin. Une centaine de pauvres bougres qui dormaient sur des nattes, à même le sol, sont réveillés en sursaut et alignés contre le mur. Les mitraillettes claquent... Les auteurs du double attentat étaient-ils dans le lot des victimes? On ne le saura jamais. Cette nuit-là, après des semaines d'accalmie, le sang d'innocents tache de nouveau le pavé d'Alger.

-------Le sang de victimes civiles va encore couler le 3 juin. Une date qui marque la reprise du terrorisme à Alger. C'est un lundi. Il fait très chaud et la ville s'est mise en tenue d'été : robes légères pour les femmes et les jeunes filles, pantalons et chemisettes de toile pour les hommes. Le soleil, le ciel bleu, la mer lisse comme une patinoire chantent le retour des beaux jours. À Bab-el-Oued et sur les petites terrasses blanches de la Casbah, le linge qui sèche à l'air libre forme des guirlandes multicolores. Comme toutes les villes typiquement méditerranéennes, Alger vit dans la rue. Le dimanche, sur les plages des environs, on s'efforce d'oublier la dernière tragédie de l'hiver les bombes du 10 février au stade d'El-Biar et au stade municipal.

-------Vers 16 heures, ce 3 juin 1957, quatre hommes - des musulmans - vêtus de bleus de travail et coiffés de la casquette de drap bleu marine de l'E.G.A. (Électricité et Gaz d'Algérie) s'affairent au pied d'un lampadaire, rue Alfred-Lelluch, près du plateau des Glières, au bas de la grande poste. L'un d'eux, Merzaoubi Ahmed, ouvre avec une petite clé le regard aménagé dans le socle en fonte du lampadaire. Un de ses compagnons fait mine de resserrer des écrous de fixation. Il cède la place à un troisième homme qui dépose discrètement un paquet qu'il a tiré de la sacoche en cuir qu'il porte en bandoulière comme tous les dépanneurs de l'E.G.A.
Ces hommes ne sont pas des ouvriers d'Électricité et Gaz d'Algérie. Ils appartiennent au réseau " bombes " de Habib Reda. C'est lui qui a eu l'idée machiavélique de placer des engins explosifs dans le pied des lampadaires, juste aux arrêts des trolleybus. Un militant du Front, qui travaille réellement à l'E.G.A., a fourni la clé et les uniformes.

À l'heure de sortie des bureaux

-------" Ça va faire un feu d'artifice comme on n'en a encore jamais vu ! " s'est exclamé Ali la Pointe quand Habib Reda lui a annoncé l'opération " lampadaires ".
-------Leur " travail " terminé rue Alfred-Lelluch, Merzaoubi et ses trois complices se rendent tranquillement à pied au carrefour de l'Agha par le boulevard Baudin, passant ainsi devant le commissariat central d'Alger. Mais comment soupçonner quatre braves employés de l'E.G.A.? Au carrefour de l'Agha, les quatre terroristes choisissent le lampadaire le plus proche de l'arrêt du trolleybus pour placer le deuxième engin. Le troisième et dernier est mis dans un autre lampadaire, à la station du Moulin, juste au bas de la rue Hoche. Les trois bombes ont été réglées par Berazouane Saïd, un nouveau. Elles doivent exploser entre 18 h 25 et 18 h 30, à la sortie des bureaux, à l'heure où, aux arrêts d'autobus et de trolleybus, on fait queue pour rentrer chez soi.
-------La première explosion a lieu rue Alfred-Lelluch. En quelques secondes, le trottoir est jonché de corps criblés d'éclats de fonte du lampadaire piégé. De partout on se précipite pour porter secours aux blessés tandis que les sirènes des ambulances mugissent lugubrement, rappelant les sombres jours de janvier et de février. Une vieille Mauresque, atteinte aux deux jambes, incapable de
marcher, est portée vers une pharmacie toute proche par un pompier et un civil musulman.
-------C'est une scène identique qui se déroule, quelques minutes plus tard, à l'Agha, près du café Métropole, entre une bijouterie et un grand magasin d'articles de sports. Là aussi, la bombe terroriste a fauché indifféremment Européens et musulmans qui attendaient le trolleybus. Les victimes sont pour la plupart des gens de condition modeste, petits employés, ouvriers, dockers, ménagères. Des enfants aussi, qui sortaient d'une école.
-------Rue Hoche, c'est un véritable miracle qui a voulu que le troisième engin n'ait fait que deux blessés. En effet, il a éclaté quelques secondes après le départ du trolleybus. Les deux victimes sont deux jeunes gens que le véhicule, complet, n'a pas pu charger.
-------Ces trois attentats feront huit morts, dont trois enfants de six, dix et quatorze ans, et quatre-vingt-douze blessés, dont beaucoup, comme les précédentes victimes des bombes du F.L.N., devront être amputés qui -d'un bras, qui d'une jambe.
-------Le soir même, la ville a changé de visage. Elle a pris son aspect des mauvais jours, des jours de colère. -------En quelques heures, l'air s'est chargé de dynamite. Tandis qu'à l'hôpital de Mustapha les chirurgiens opèrent sans discontinuer et que, derrière les grilles, les familles des blessés attendent anxieusement des nouvelles, les Algérois serrent les poings de rage impuissante devant ce nouveau massacre. Dans les quartiers musulmans, ce n'est pas la rage, mais la peur. La peur des représailles aveugles qui ajouteront la violence à la violence, les deuils aux deuils.

Pourquoi pas le Casino?

-------Le mercredi 5 juin, les pieds-noirs enterrent les morts des lampadaires sans se douter qu'une autre tragédie se prépare, aussi atroce, aussi meurtrière. En effet, le C.C.E. presse Yacef Saadi d'intensifier la reprise du terrorisme urbain. Il lui enjoint en même temps de préparer un dossier sur les tortures et d'ordonner aux musulmans de ne plus fumer, de ne plus consommer de l'alcool, de faire la grève de l'impôt. Dans l'esprit des " grands patrons " de la rébellion, il s'agit d'obtenir au plus vite cette cassure entre les deux communautés.
-------Comme il est hors de question de répéter l'opération " lampadaires ", il faut trouver un nouvel objectif où l'introduction d'un " truc " ne présentera pas de difficulté majeure. D'autre part, il convient de choisir un endroit fréquenté uniquement par des Européens, car, en frappant des musulmans, les bombes des lampadaires n'ont pas eu sur la masse l'impact souhaité. La propagande du F.L.N. a eu du mal à expliquer cette
"erreur de tir ".
-------C'est alors que Kamel propose à Yacef Saadi le Casino de la Corniche. Il représente la cible idéale puisque les musulmans qui y sont admis se comptent sur les doigts de la main. Le Casino de la Corniche est connu de tous les Algérois au même titre que le Santa-Lucia, son rival. Il est situé à une dizaine de kilomètres à l'ouest d'Alger, près de Pointe-Pescade. C'est un imposant bâtiment bâti sur un éperon rocheux, face à la mer, un peu en retrait de la route littorale. On y accède par une longue allée de gravier soigneusement entretenue. En semaine, il est surtout fréquenté par les joueurs.
-------Le samedi et le dimanche, il attire la foule des danseurs. A son programme, les vedettes de la chanson en tournée
en Algérie, des fantaisistes, des attractions de classe internationale. Dario Moréno a beaucoup de succès à chacun de ses passages. Le fameux travesti Coccinelle y vient souvent avec la troupe du Carrousel de Paris.

Le jour de la Pentecôte

-------À l'intérieur, la décoration est simple et de bon goût. La salle du night club est peinte en bleu sombre avec des étoiles qui piquent les murs de taches plus claires. Autour de la piste de danse, qui sert également de scène, de' petites tables rondes. Les baies vitrées ouvrent sur la mer. Dans ce cadre de boîte de nuit hollywoodienne, évolue le patron, Henri Azzopardi, petit homme brun et jovial qui a hérité de ses origines maltaises le sens des affaires. Henri Azzopardi - Riri tout court pour une multitude d'amis appartenant à tous les milieux - est également propriétaire de la brasserie le Novelty et d'un autre dancing, le Fantasio, deux établissements proches de l'hôtel Aletti.

Un employé du Casino, Iméklaf, en possession de la bombe à 9 heures, réclame la clef de la salle de danse, alors déserte, pose l'engin sous l'orchestre, rend la clef à 13 h 30 et file au maquis.

-------Le dimanche 9 juin, jour de Pentecôte, aucun membre du personnel du Casino de la Corniche ne remarque que l'un des plongeurs, un musulman d'une quinzaine d'années, vient prendre son service avec un paquet sous le bras. Ce paquet, en apparence parfaitement inoffensif, est une redoutable bombe de deux kilos que lui a fait remettre Yacef Saadi. L'employé a accepté de la dissimuler sous l'estrade de l'orchestre à la condition d'être pris en charge par le F.L.N. avant qu'elle explose et d'être acheminé ensuite vers le maquis.

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À partir de 16 heures, la salle du Casino commence à se remplir de couples. Il y a beaucoup de garçons et de jeunes filles qui ont préféré la danse au traditionnel pique-nique de Pentecôte dans la forêt de Sidi-Ferruch ou sur les plages. On échange des signes amicaux avec les musiciens de Lucky Starway. Ce sont tous des Algérois. Certains sont même des enfants de Bab-el-Oued. A commencer par Lucien Serror, colosse de trente-cinq ans dont le visage rond et perpétuellement souriant est barré d'une fine moustache noire. Quand il a monté son orchestre avec des copains, il lui a donné le nom de Lucky Starway. Pour un ensemble de jazz, ça fait plus sérieux que Lucien Serror. En tout cas, c'est plus dans la note.

-------Il est 18 h 30. On danse au coude à coude et joue contre joue sur la piste cirée du Casino de la Corniche. Sur l'estrade, Lucky Starway dirige ses musiciens. Les garçons en veste blanche se faufilent à travers les tables pour apporter les consommations. Le soleil est encore haut dans le ciel et embrase-la mer. C'est un dimanche comme les autres, un dimanche de détente pour toute une jeunesse qui a provisoirement chassé de son esprit la guerre et le terrorisme., Et pourtant !...

Comme s'ils venaient d'échapper à l'enfer

-------Soudain, en quelques secondes, c'est le drame. Une terrible explosion secoue tout l'établissement. Un souffle d'une puissance inouïe balaie la salle, qui s'emplit instantanément de fumée et de poussière. À travers ce nuage on distingue des fantômes qui titubent avant de s'abattre dans un invraisemblable désordre. -------Sous l'effet de la bombe, l'estrade a été littéralement pulvérisée, projetant musiciens et instruments dans tous les sens. Rien n'a résisté à la déflagration. Des dizaines de corps sont allongés parmi les débris de tables, de chaises, de verre pilé. Le piano, éventré, tient en équilibre sur un pied. Ses touches sont gluantes de sang. Le premier moment d'affolement passé, les rescapés se portent au secours des blessés. Ils marchent sur des jambes, des bras, des mains arrachés.
-------Le long du front de mer, des territoriaux patrouillaient. Au bruit de l'explosion, ils se sont précipités. Dans l'allée qui mène au Casino, ils ont croisé des hommes et des femmes qui fuyaient comme s'ils venaient de s'échapper de l'enfer. Les vêtements déchirés, les yeux remplis d'épouvante, ils fonçaient droit devant eux.
-------Le général Massu prenait le frais sur la terrasse de sa villa des Bains-Romains avec son chef d'état-major, le colonel Brothier. L'explosion les a fait sursauter. Peu après, un coup de fil leur a confirmé l'attentat. Le général Massu a aussitôt foncé au volant de sa 403 jaune sable avec Brothier. Les ambulances arrivaient pour évacuer les blessés après avoir eu du mal à se frayer un passage sur la route littorale encombrée des voitures particulières qui ramenaient à Alger les pique-niqueurs. -------Bon nombre de ces voi
tures ont chargé des victimes pour gagner du temps car il n'y a pas assez d'ambulances malgré les renforts du service de santé de l'armée. En klaxonnant à fond pour s'ouvrir la route, les conducteurs alertent toute la ville. Dans le centre, deux commissaires de police fraîchement débarqués de métropole se précipitent à la police judiciaire pour se mettre à la disposition de leur nouveau patron.
-------" Une bombe a explosé au Casino de la Corniche ", leur annonce le commissaire principal Demarchi, sous-directeur de la P.J., qui s'apprête à se rendre sur les lieux.

Deux commissaires l'échappent belle...

-------Les deux commissaires se regardent. La veille, ils avaient fait la connaissance de Riri Azzopardi. Très gentiment, le propriétaire du Casino les avait invités pour le lendemain. Sur une carte de visite, il avait griffonné quelques mots pour recommander au maître d'hôtel de placer les deux policiers tout près de la piste de danse, à côté de l'orchestre, et de leur offrir le champagne.
-------N'ayant pas de voiture et rechignant à prendre l'autocar, les deux fonctionnaires ne sont pas allés au Casino...
-------La nuit est tombée sur Alger lorsque le bilan officiel de l'attentat est enfin connu : 9 morts, dont le malheureux Lucien Serror. Le chef d'orchestre, qui se trouvait juste au-dessus de la bombe, a été déchiqueté. 85 blessés, 46 hommes et 39 femmes, dont 10 sont dans un état désespéré. Ce soir-là, la ville, déserte et lugubre, garde le deuil qu'elle a pris, moins d'une semaine plus tôt, pour les victimes des lampadaires, après avoir cru à la fin de son calvaire

-------On ne retrouve rien rien de Lucky Stanway, le chef d'orchestre...

-------L'attentat du Casino de la Corniche, qui survient au lendemain de l'épouvantable massacre de Melouza par l'A.L.N. et qui porte à près de vingt le nombre des civils tués en quelques jours par les bombes de Yacef Saadi, va provoquer une très violente réaction au sein de la population européenne. De plus, le climat politique n'est guère favorable à un apaisement des esprits. Le président Coty vient de gracier huit condamnés à mort et la France est sans gouvernement. Le 21 mai a vu la chute de Guy Mollet.

-------Le colonel Yves Godard, adjoint opérationnel de Massu est appelé, le 11 juin 1957, par le chef de la 10è D.P., à prendre en main la lutte dans la zone autonome d'Alger. Il va créer Alger-Sahel et développer, face à Yacef Saadi, avec les officiers de renseignements qui l'entourent, des méthodes d'autodestruction du F.LN.

-------Encore une fois, les étudiants, les élus et les anciens combattants se font les interprètes de la colère populaire qui gronde. La tension atteint un seuil critique au-delà duquel le pire est à redouter. Des tracts circulent sans que l'on sache très bien à qui il faut les attribuer.
-------De son côté, Baretaud, qui a succédé à Amédée Froger à la présidence de l'interfédération des maires, envoie ce télégramme à l'Élysée:
-------La situation en Algérie et les sacrifices consentis par le pays exigent l'union et le regroupement des hommes qualifiés et de bonne volonté pour la formation d'un gouvernement de salut public décidé, avant toute réforme politique, à faire respecter la souveraineté française.

La Casbah gardée par la troupe...

-------Au Gouvernement général, Robert Lacoste est très inquiet de cette brutale poussée de fièvre. Il sait que les obsèques des victimes du Casino de la Corniche peuvent dégénérer en manifestations très violentes et qu'il suffira de quelques provocateurs habilement mêlés à la foule pour qu'elles débouchent sur l'émeute et le bain de sang.

-------Au plateau des Glières se déroulaient tous les défilés militaires d'Alger. Mais où se ruait aussi la foule dans les grandes journées d'allégresse ou de fureur. C'est là, après les attentats des lampadaires et du Casino de la Corniche, que des ratonnades se sont amorcées et que des scènes de douleur ont replongé Alger dans la terreur voulue par Yacef.

-------Le mardi 1 1 juin, jour de l'enterrement des 10 morts de la Corniche, une grève surprise est déclenchée sur des mots d'ordre que propagent, de Bab-el-Oued au Ruisseau, des jeunes gens à scooter. A l'exception des boulangeries et des pharmacies, les uns après les autres, les commerçants européens baissent leur rideau de fer, imités par leurs collègues musulmans, qui préfèrent user de prudence. Les grandes administrations débraient à leur tour. Dès 9 h 30, on signale des incidents entre de jeunes Européens et des marchands musulmans du marché Clauzel et du marché de Belcourt.
-------Vers la fin de la matinée, plusieurs cortèges de manifestants se forment à Bab-el-Oued et dans le centre aux cris de " Les paras avec nous " et " Algérie française ". Un hélicoptère " Alouette " siffle dans le ciel, A son bord, le général Massu, qui garde le contact radio avec le secteur Alger-Sahel, lui-même en liaison avec le commissariat central et le Gouvernement général.
A midi, après les obsèques d'une des victimes, Mme Ramos, du cimetière d'El-Alia, c'est une foule imposante d'hommes et de femmes au visage grave qui observe une minute de silence au monument aux morts. -------Une heure auparavant, devant la multiplication des incidents (vitrines de magasins brisées, musulmans molestés, voitures renversées et incendiées), le colonel Marey, qui commande le secteur Alger-Sahel, a donné l'ordre aux C.R.S. et aux gendarmes mobiles de disperser les petits groupes de jeunes gens dont la mobilité donne du fil à retordre au service d'ordre.
-------Toutes les entrées de la Casbah sont gardées par la troupe derrière des chevaux de frise et des réseaux de barbelés.

Alger replonge dans la folie...

-------Durant tout l'après-midi, Alger va vivre dans cette fièvre. C'est dans le bruit des explosions de grenades lacrymogènes, les injures aux C.R.S., les slogans et le refrain de la Marseillaise que les malheureuses victimes du dimanche de la Pentecôte sont conduites au cimetière de Saint-Eugène. Il y a aussi, hélas! des ratonnades, notamment à Bab-el-Oued, où les magasins musulmans ne se comptent plus. Ils sont surtout le fait de voyous que l'on retrouvera que chaque fois qu'Alger descendra dans la rue pour laisser éclater sa colère.
-------Le soir, au terme de cette journée qui comptera parmi les plus dures, on déplore six morts, cinq musulmans et un Européen, une cinquantaine de blessés, en majorité musulmans. Cent magasins ont été dévastés, vingt voitures incendiées. Il y a deux cents arrestations. Plusieurs hommes des unités territoriales en uniforme, qui avaient pris la tête des cortèges, sont retenus par l'armée
-------Le couvre-feu est avancé de minuit à 21 heures. La nuit apporte avec elle l'angoisse du lendemain. Avec ses nouvelles bombes, le F.L.N. a réussi à replonger la ville dans la folie. Pour Robert Lacoste, le remède est clair : il faut recommencer l'action entreprise janvier, détruire les cellules terroristes qui se sont reconstitué

Francis ATTARD

Les " diaboliques " du dimanche sèment la mort sur les stades

-----Djouher Akhror, 17 ans, auteur de l'attentat du 1 stade municipal d'Alger : 2 morts, 15 blessés.
-----Baya Hocine, 16 ans, terroriste du stade d'El-Biar. Elle déposa deux bombes 8 morts, 30 blessés.

-----10 février 1957.
-----Un dimanche.
-----Place du Gouvernement, trois garçons et deux filles attendent, au pied de la statue du duc d'Orléans.
-----Un taxi doit les prendre, à 14 h 15, pour les emmener au stade. Ce ne sont pas des sportifs tout à fait comme les autres. Les garçons ont un peu l'air traqués : Bahal Boualem, Bellamine Mohand et Bellamine Boudjema. Ils font partie des réseaux terroristes de Yacef. On leur a donné l'ordre, la veille, de déposer deux bombes au stade d'El-Biar et deux autres au stade municipal.
-----À 16 h 15.
-----Ces bombes, les filles qui les accompagnent les ont attachées sous leur gabardine, avec des foulards blancs. On ne fouille pas les femmes musulmanes. De petites bombes, pas plus grosses qu'un dictionnaire. Les gamines sont des lycéennes, Baya Nocine, qui fera équipe, au stade d'El-Biar, avec Bellamine Mohand, seize ans, et qui, d'une main sûre, déposera une bombe sur les gradins et l'autre dans les W-C de la buvette. Djouher Akhror, elle, en compagnie de Rahal Boualem, ira au stade municipal. C'est en dînant, le soir qu'ils apprennent le bilan : 10 morts et 45 blessés.